Rencontre avec Youri
La première fois que Youri est apparu devant moi, c’était sur Youtube avec le magnifique clip de « Lalala » tourné en Inde pendant « des vacances entre potes ». J’ignore comment la plateforme m’a redirigé sur ce titre, mais rien que pour ça je demeure un des derniers défenseurs de son algorithme. Quelques temps après avoir poncé ses deux premiers EP, que j’ai évoqués ici, le rappeur de Paris Sud fut annoncé en concert à La Marquise, en première partie de Nusky. C’est donc le 28 avril qu’avec Plusplus de l’émission Chez Lézard, j’ai pu discuter avec lui.
À peine arrivé aux abords de la péniche, je comprends que Youri n’est pas venu seul. Il est suivi par Asot One, beatmaker, ingénieur son (et même backeur), qui travaille avec le Panama Bende. Et la Citizen Ken, l’équipe de production menée par Elias Adda, qui gère l’essentiel pour Youri, de la communication aux clips. Après avoir dit bonjour à chacun d’eux, nous sommes allés nous installer sur la petite terrasse à l’arrière de la péniche, pendant que Nusky faisait ses balances.
Dans ses textes, Youri paraît vrai. Tellement vrai qu’il utilise son prénom comme nom de scène. Il connaît la Citizen Ken depuis l’époque du lycée, période où il lâche ses premières rimes : « On aimait bien rapper en soirée, on s’amusait quand on était bourré à partir en impro. Petit à petit c’est devenu plus sérieux, on a gratté des textes. Avec un pote on a monté un groupe, Les Créanciers. Et on a fait notre petit label, Label Elabeat » (Prononcez « élabit»).
En 2014, les premiers titres apparaissent sur Youtube, d’abord sur des Face B. C’est à ce moment là que Youri rencontre Asot One, producteur de talent avec qui il s’est lié malgré la fin de l’aventure pour Les Créanciers : « Ça a duré quoi… un an, puis on s’est embrouillé. Ça a fait une grande pause. Puis l’année dernière, […] on s’est remotivé avec d’autres potes qui étaient présents dans le Label Elabeat. On a remonté une structure [Citizen Ken] pour relancer la machine »
Et au vu de leur efficacité, il est clair que la Citizen Ken ne manque pas de bonnes idées : le 21 avril, soit deux jours avant le premier tour des élections présidentielles, Youri publie sur sa toute nouvelle page Facebook un morceau dédié à « sa candidate préférée », intitulé #Puedelagueule. L’air de rien, avec un morceau assez trash, Youri prend position. Et dans le même temps, en ayant su exploiter le contexte médiatique, il engrange pas mal de vues et permet à sa page d’obtenir un minimum d’audience pour la sortie de son premier EP, Tsar Trap vol. 1, le 9 mai. Alors qu’une grande partie du rap ne veut plus ou n’ose plus s’engager sur le monde qui les entoure, Youri le fait. Et le fait bien. Sans paraître moralisateur ou condescendant, il parvient à affirmer son point de vue sur la société : « Ça vient naturellement. J’ai eu la chance, il y a deux ans, de participer un peu à un mouvement politique [La loi travail], sans vraiment y participer à fond […] du coup ça m’a un peu éveillé sur les problèmes du système».
« J’adore Tarantino, j’adore Guy Ritchie, j’adore Refn […] Godard j’trouve ça chiant »
Youri plaît grâce à un flow énergique, une grande maîtrise de la rime et des textes décomplexés qui évoquent de puissantes images et ce, qu’il critique les « patrons qui ont usé les darons » (Jour de manif) ou qu’il parle du tea-bag. Approuvé par Oklm et le média de la Scred connexion, il balance son deuxième EP un mois plus tard avec une audience qui a plus que doublée. De plus en plus de médias parlent de sa musique qui se démarque des standards, à la croisée entre une trap déjantée et un rap profond. C’est décidé, Youri choisit de capter des images avec sa plume plutôt qu’une caméra : « J’ai fait deux ans d’école de cinéma, j’ai arrêté à partir de septembre [2017] quand ça commençait à prendre un p’tit peu ». Pour autant, à travers la Citizen Ken, il garde un pied dans le cinéma en s’attachant à apporter un visuel à la plupart de ses morceaux. Et à l’image de ses références, ses clips ne manquent pas d’originalité. Comme celui de Oizo, dans lequel un de ses amis déambule, seul, dans une ville indienne et dont le titre rend hommage à la faute d’orthographe, ainsi qu’à Quentin Dupieux.
« Quand j’étais plus jeune j’me suis buté au rock et à la musique électro. Après, j’suis revenu vers le rap. En ce moment je me bute aux sons cainris, surtout avant Tsar trap vol. 1 et Free Tsar, j’me suis buté aux sons cainris. Et j’pense que c’est pour ça que j’répète autant mes mots, que j’répète autant mes phases… que je structure mes morceaux comme ça, en mettant plein de refrains. […] J’écoute du Smoke purp, du Lil Pump, du Famous Dex, du rap qui m’ambiance. En Français, j’écoute des sons du moment qui m’font plaisir. En ce moment, j’me bute au dernier son de Kekra [10 balles]. J’ai découvert un mec que j’aimais pas du tout, Heuss L’Enfoiré. Il a sorti un son, Gambino, et là j’kiffe le son. J’regarde c’qui sort. »
Celui qui, par sa mère, est « Russe comme Poutine, Grec comme Léonidas » (Epoque de merde) n’est pas qu’un rappeur studio. En live, il déploie beaucoup d’énergie et signe des performances remarquables, à l’image de son passage dans Couvre feu sur OKLM. « Ah ça fait plaisir, parce qu’en plus j’étais pas en forme hein. J’étais sous 40 de fièvre ». S’il a pu passer dans cette émission, il le doit en partie à l’attaché de presse de Nelick, qui apparaît sur le titre AK47 avec Lord Esperanza. « Nelick je l’ai rencontré au studio, parce qu’il travaille à La Maison, au studio où travaille Asot. Et Lord m’a contacté à l’issue de la sortie des deux premiers projets pour qu’on collabore et le courant est super bien passé. Du coup on s’est mis au taff vite. » Et quand il s’agit de taffer, Youri ne passe pas par quatre chemins : « C’est tout simple, j’trouve une instru qui m’plaît, comme par exemple celles d’Asot, et […] directement ça coule. Des fois j’essaye de trouver un flow, et parfois il y a des mots que j’voudrais dire. Ça m’arrive de retoucher des textes. Mais j’suis pas perfectionniste, la plupart du temps je ne les retouche pas trop. »
Avec l’arrivée imminente de Tsar Trap vol. 2, qui a lui seul regroupe plus de titres que ses deux premiers EP, Youri ajoute des cordes à son arc en alternant « soit du turn up, soit des trucs plus mélodiques, qui font voyager. Il y a un bon 50/50 ». Cela marque également l’arrivée de feat, dont un avec son ami Elias de Citizen Ken, ce qui était inédit jusqu’alors. « Je voulais mettre ma couleur perso » explique Youri. Maintenant qu’il possède son propre univers musical, bien qu’il «[aimerait] apporter plus de diversité dans [son] rap », Youri est prêt pour cuisiner avec les meilleurs ouvriers de France : « On prépare un truc avec Weedim, mais j’peux pas trop en parler… ».
Après que Youri m’ait éclairé sur son parcours et ses projets, il s’en est allé acheter du sirop contre la toux, accompagné de ses amis. Et quand il revint, pour le treizième concert de sa jeune carrière, il délivra une performance de haute volée. Prestance, diction et énergie étaient ses maîtres mots. Dès le premier morceau, il a conquis et soulevé le public. Jusqu’ici, j’avais rarement vu une première partie faire tanguer la péniche à ce point. Sûrement car jusqu’ici je n’avais jamais vu Youri.