Rencontre avec :
Trait D’Union

A une semaine de la troisième édition de La Terrasse – ECAM Festival, j’ai rencontré l’un de ses fondateurs, Antoine Douillet, dans les locaux de Paperboys. Après avoir lancé l’événement en tant qu’élève, il est désormais à la tête de Trait d’Union, une association spécialisée dans l’événementiel. Et qui s’apprête à souffler sa première bougie à travers deux événements organisés à Paris. Retour sur leur parcours.

Antoine Douillet, Antoine Tanguy et Gwenael Derrien sont les fondateurs de Trait d’Union. Si le premier était déjà attiré par le milieu de l’événementiel, pour les autres c’est venu presque par hasard. « Sorti du Bac, je voulais déjà bosser dans l’événementiel, mais je n’étais pas sûr de l’événementiel: culturel, sportif ou politique? J’ai fait une école d’ingé pour avoir les bases techniques : scène, son, lumière, logistique etc… Au fur et à mesure de l’école d’ingé je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas que la technique qui m’intéressait : la production, le marketing, la communication, la direction artistique… tout ça m’intéressait aussi. Pour sa part, Antoine Tanguy « est rentré en école d’ingé sans avoir l’idée de faire de l’événementiel ou de la culture. C’est en faisant le festival qu’il y a pris goût. » Quant à Gwenael, après l’INSA, « il a bossé dans le génie civil et le bâtiment pendant 6 ans à Berlin et à Paris. Un jour il s’est dit qu’il trouvait plus trop de sens dans son taff, à faire des notes de calculs pour des bâtiments, et qu’il aimerait bien se réorienter. Je l’ai rencontré [Gwenael] en stage de fin d’étude et lui était en réorientation professionnelle. »

Comme beaucoup d’aventures, celle de Trait d’Union a débuté avec du hasard, des erreurs et beaucoup d’envie. Au départ, « on était trois étudiants en quatrième année d’école. On a monté le projet de faire un festival de musique sur le spot de Fourvière. Au début, le spot n’était pas accessible pour les étudiants. Quand il est devenu accessible, on a vu le potentiel, donc on est allé voir le directeur pour lui demander de faire un festival là-bas. Le directeur était chaud tout de suite, donc il nous a soutenu. [Pour la troisième édition] on faisait plus partie de l’école d’ingé, mais on avait quand même envie de continuer à organiser le festival. Du coup, on a monté l’association Trait-D’union [septembre 2017]. Pour continuer La Terrasse et proposer des événements toute l’année aussi. »

« Pour la terrasse c’est très house, mais ça va avec le lieu. Si on avait eu un hangar sur la nuit, on aurait mis techno indus. »

Cette année, pour la première fois de sa jeune histoire, La Terrasse – ECAM Festival s’est étalé sur deux journées : « à chaque fois le dimanche, quand on démontait, on était juste trop deg’ d’avoir monté tout ça que pour une journée ». Et pour preuve de l’aura croissante de l’événement, ont été organisé un warm-up une semaine avant, sur la terrasse du Mob Hotel, ainsi qu’un after au Terminal à la fin de la première journée qui affichait complet. Le festival se déroule dans le jardin de l’ECAM, une école d’ingénieur jonchée sur la colline de Fourvière, ce qui offre un cadre intimiste avec une vue imprenable sur la capitale des Gaules. Ajoutez à cela quelques animations et expositions artistiques, ainsi qu’une programmation musicale pointue, placée sous les auspices de la funk, du disco et de la house, et vous obtiendrez un vague aperçu de ce que peut-être ce festival car, bien entendu, il faut le vivre pour réaliser.

« La première année on a eu un peu de mal, on était nouveaux aussi dans le milieu, la communication pour nous c’était loin. L’année dernière on a fait sold out une semaine avant. »

En seulement trois éditions, ce festival est devenu gage de qualité, que ce soit en terme d’atmosphère, d’environnement ou de programmation. Mais ça ne s’est pas fait sans verser quelques gouttes de sueur : « La première édition de La Terrasse, on avait fait le montage le vendredi, le son devait commencer à 13h le samedi et on a eu un orage de malade entre le vendredi soir et le samedi… les amplis ont pris la flotte. C’était bâché, mais ça a quand même pris l’humidité et en allumant la sono le samedi pour commencer à faire les balances. L’ampli craque. On avait pas de son à une demi-heure de l’ouverture de la première édition du festival. […] On a appelé […] tous les gens qu’on pouvait, on s’est démerdé pour avoir un ampli, le son a tourné. C’était bien. C’était la première édition de la Terrasse, donc forcément t’as la pression. L’année dernière tu vois, à un quart d’heure / vingt minutes on s’aperçoit qu’il nous manque des cellules pour les platines. Ça, tu peux te dire que ça fait flipper, mais en soit tu sais que tu vas le gérer, et puis c’était la deuxième édition et t’as moins de stress. C’est vrai que la première là, le son sortait pas, il était 12h30, les portes ouvrent à 13h, grosse pression… Après c’est le métier. […] J’ai fait mon stage de fin d’études dans l’événementiel plus business, c’est un milieu où tout est […] à faire tout de suite, tout est dans l’urgence, c’est impressionnant. »

« Financièrement, on a perdu 5000 euros sur la première édition. Du coup, pendant toute la seconde année, on a fait des événements au bar de l’école pour pouvoir combler le trou […]. C’était la condition de l’école : si vous arrivez à rembourser les 5000 euros de dettes, ok pour une deuxième [édition]. L’année dernière on a fait sold out, […] on a pu mettre une petite poche de réserve pour financer cette troisième année et, normalement, à la fin de cette troisième année, on est totalement autonome financièrement. L’ECAM n’aura même plus besoin de sortir d’argent. »

En moins d’un an, Trait-d’Union a su s’installer dans le paysage de la culture lyonnaise en organisant aussi bien « des « soirées techno assez dark au Terminal, des lives acoustiques dans des bars », qu’en plaçant leurs artistes au Mob Hotel. Ils sont même arrivés à réunir enfants et adultes, autour du thème de Là-Haut, lors de la dernière fête de la musique. Du dub au rock, en passant par le rap, les fondateurs de Trait d’Union écoutent et programment de tout.

Loin de se limiter à la ville rhodanienne, les fondateurs commencent à investir Paris par le biais du bar Gallia où ils ont organisé un événement pour le 14 juillet : « C’était le cousin d’un des gars de Trait d’Union qui était responsable événementiel sur ce lieu pendant 6 mois en stage. C’est que des opportunités, des contacts. […] On se met pas de frontière. On est lyonnais, on aime cette région, ça fait six ans qu’on est là, on apprécie. Après on sait aussi que Lyon c’est une ville où ça bouge déjà énormément. Si on prend juste l’agglomération de Lyon, on se rend compte que la culture est ultra-gentrifiée déjà sur le centre, on peut même dire sur la presqu’île. Tandis que je pense que des villes comme Saint-Priest, qui sont à côté, n’ont pas forcément une grosse offre culturelle et je suis sûr que les municipalités seraient ouvertes à offrir plus de propositions culturelles. On a vraiment envie de s’inscrire dans l’espace public, donc le pied serait d’un jour faire un projet main dans la main avec la mairie de Saint-Priest qui nous dise « bah voilà, on vous aide sur la logistique, les autorisations etc… et puis vous, vous animez culturellement la journée, que ce soit musique, ateliers, animations. […] Le plus grand kiff, c’est quand il y a des gens de tout âge. Là pour la Terrasse, quand on reçoit des mecs qui nous demandent : « Bonjour, mon enfant a 10 ans, est-ce qu’il peut rentrer ? » ouais pas de soucis, ça fait plaisir, venez en famille, on est là pour partager. »

Et lorsqu’ils ne portent pas le projet artistique, ils réalisent des prestations techniques en louant le soundsystem qu’ils ont eux-mêmes conçus, pour une meilleure qualité sonore : « C’était notre petit plaisir technique « . Après l’avoir inaugurée sur la terrasse du Mob Hotel, ils l’ont loué « pour l’extra de Sofffa […] avec Art By Friend. Ils avaient fait un duel d’illustration live sur tablette, retransmis sur vidéo. Ça nous fait aussi des rentrées financières pour alimenter nos propres projets. »

« A terme, ce qu’on voudrait, c’est s’améliorer sur la pluridisciplinarité. On a énormément de contacts dans le milieu de la musique, mais on aimerait bien croiser ça avec le théâtre, la danse. On a quelques contacts avec le street art qu’on essaye de faire apparaître sur nos événements. Le but est d’avoir du réseau sur les autres arts afin de mêler ça. Vraiment, la grosse vision à long terme, c’est de proposer un max de choses dans l’espace public. On a posé un dossier pour la fête de la musique. Si ça se passe bien, la mairie voit que t’es sérieux. Ça peut aller plus loin. Notre gros kiff serait de proposer des événements pluri-culturels sur l’espace public où les gens puissent se rencontrer, quelque chose de multi-générationnel. On est plus sur l’événementiel que la création. »

Le côté créatif, ils le laissent à leurs potes de BMK avec qui ils partagent leurs cinq artistes : « On est très potes avec le groupe BMK qui ont monté leur propre label, Undegroove records et pressent déjà leurs skeuds. […] On a rejoint aussi Mafia Sonore, un regroupement de 7 petites asso lyonnaises dans le même esprit que nous pour proposer des plus grands projets. A chaque event Mafia sonore, il y a forcément au moins 1 artiste qui représente Trait-D’union. […] On essaye […] de travailler beaucoup en collab’ car on se rend compte que tout le monde a des compétences à apporter. »

Ce solide réseau qu’ont pu se construire les fondateurs de Trait d’Union est dû aux premières galères qu’ils ont connues, suite à la première édition de leur festival : pendant sept mois, « on a fait un événement par semaine, toutes les semaines, pour rembourser les 5000 euros et à chaque événement on rencontrait des artistes. Et ceux avec qui on a le plus accroché, ce sont devenus des bons potes. Ils ont suivi le montage de Trait d’Union et se sont impliqués dedans. »

Finalement, Trait d’Union, c’est avant tout une histoire de potes réunis autour d’une même passion : la culture et son partage. Qu’on ait 7 ou 77 ans, qu’on aime la techno, la funk, la dub, le rock ou bien le rap, qu’on ait des affinités ou non avec l’art, qu’on sorte la nuit ou le jour, leur volonté est de parler à tous. « Diversité, partage, vivre ensemble. Pour nous vraiment, la culture on voit ça comme un vecteur de vivre-ensemble plutôt qu’un business. Enfin moi, ça me saoule quand tu bosses avec des gens qui parlent pognon pognon pognon. On était en école d’ingé, si on veut faire du fric, on peut. Se retrouver en face de gens qui parlent de fric quand toi tu parles musique ou culture…. Bien sûr, il faut réussir à se démerder. Il faut que l’événement soit rentable, mais tu ne mets pas ça au centre. Ça ne peut pas être ta vision à terme. »