Rencontre avec :
Dowdelin

C’est dans un rade comme on les aime de Montchat, à côté de la Friche Lamartine où se situe le QG du trio, que j’ai pu taper la conversation avec Olivya et Raphaël, respectivement chanteuse et multi-instrumentiste du groupe Dowdelin. A l’aise au milieu des clients et surveillés par un mec de la sécu plutôt baraque, on a pu faire partir la discussion dans tous les sens, comme d’habitude. De la Californie aux Antilles, de New-York à Vienne, on a fait des bornes en une heure et demi. On vous passe les digressions sur le fonctionnement de la fourrière ou les vraies questions comme « Dowdelin est-il le JUL de la musique caribéenne ? » pour vous extraire le nectar de la discussion. Bon voyage et bonne dégustation !

Avant Dowdelin

 

Raphaël : J’ai des parents mélomanes qui ont toujours voulu que je fasse de la musique. Ils écoutaient de la musique caribéenne, du funk à la Isaac Hayes… Il y avait toujours de la musique à la maison et avant de savoir marcher, on m’avait mis des instruments dans les pattes. J’ai intégré à 4 ans une école de musique fondée par Georges Troupé, père de Sonny, dans laquelle j’ai vu tous les styles : de la bossa nova au classique, j’ai bouffé du solfège, de la théorie musicale.

Après j’ai fait le conservatoire et, ce qui était intéressant, c’était les rencontres avec des musiciens de tous les horizons. Et c’est par ces rencontres aussi que j’ai connu David (Kiledjian, troisième tête de Dowdelin, multi-instrumentiste, DA du projet et producteur dans environ 470 autres groupes, ndlr). Je n’étais pas musicien professionnel jusqu’à ce moment-là, j’avais toujours un truc à gauche car je suis aussi linguiste de formation. Peut-être pour me rassurer ou pour ne pas me dire que je n’étais que musicien. Et c’est drôle parce que je ne me suis jamais pas considérer comme musicien.

Cette formation m’a permis aussi de jouer dans des tonnes de groupes, je ne sais même pas si je pourrais me souvenir de tous les noms. J’ai plein de projets, de compositions dans les cartons et il faut que je fasse le tri et que je monte des projets pour ça. J’ai deux idées d’albums que j’aimerais beaucoup enregistré prochainement, un album orienté hip hop et un de soul/neo soul. Prochainement, ça peut être dans un ou deux ans hein, on n’est pas pressé. Sinon je tourne aussi avec quartet de Sonny Troupé. Je participe aussi à des projets de Maloya, la musique traditionnelle réunionaise mais le focus principal est sur Dowdelin en ce qui me concerne car il y a pas mal de choses à faire.

Olivya : De mon côté, j’ai toujours chanté mais au début, je n’avais pas vraiment de projets spéciaux. Car pour moi il n’y avait que Beyoncé qui pouvait réussir en fait (rires). Plus sérieusement, je chantais avec ma cousine, j’ai commencé dans un groupe de reprises avec elle. J’ai également fait partie d’un groupe de reggae, Mad A Skank, dans lequel j’ai toujours essayé d’apporter autre chose, d’apporter ma touche de soul, car le reggae peut être un carcan qui enferme vite. On a sorti un petit EP et on prévoit un petit album car l’EP a bien fonctionné. C’est un chouette projet et ces mecs sont de vrais amis.

La Rencontre

 

Olivya : Le groupe a commencé il y a 2 ans. Je connaissais David de vue car je faisais des jams sur Vienne, dans un petit groupe tranquillou, mais je voulais sortir de ça. Je lui ai demandé si ça lui disait de bosser avec moi, il m’a dit de passer à la Friche pour en parler. On cherchait un projet qui sorte un peu de l’ordinaire. Parce que la soul, bon, tu peux vite tourner en rond. Ayant quelques difficultés très assumées avec l’anglais et vu que ma langue maternelle est le créole, on est parti là-dedans. David a commencé à monter le projet et on s’est dit, quand même, ça serait cool d’avoir un percussionniste et c’est là que Raphaël est entré dans le groupe.

Raphaël : Il y a quelques années, j’avais monté une équipe de musiciens pour jouer du jazz caribéen dans laquelle David était présent. On avait des enregistrements studio mais qui n’ont rien donner. On était étudiants, on avait 25/26 piges. On a pas mal tourné mais la réalité du jazz à l’époque, et du jazz caribéen d’autant plus, a fait que ça n’a pas pris, même s’il y a eu du succès d’estime pour les gens qui en ont entendu parler.

Du coup, David savait aussi que j’avais évolué dans pas mal de groupes hip hop et soul et que j’avais les deux casquettes. Il me contacte et j’étais dans le coin à ce moment là, disponible après avoir pas mal voyagé. Il y avait 3 morceaux vraiment établis et des ébauches pour le reste du répertoire dans lequel j’ai mis mon grain de sel. C’est drôle car 3 ou 4 mois avant qu’il ne m’appelle, vu que je baignais un peu dans ce milieu caribéen, je m’étais dit : « Tiens, il y a quelque chose à faire ». Mais généralement, quand tu sens une mouvance arriver sans être déjà dedans, c’est que c’est trop tard.

Olivya : Même nous, on n’en avait très peu parlé avant, c’est allé très vite. La chose difficile, c’était de se démarquer mais ça je pense que c’est bon. On ne sonne pas comme Delgrès ou Mélissa Laveaux. De toutes façons, à part le créole, y’a pas grand chose de commun en fait. Delgrès fait du blues, rock, très saturé, c’est super intéressant. Laveaux a un côté pop, folk, très écrit.

Raphaël : Le son caribéen a toujours été là. Il y a eu un engouement ces dernières années car il y a eu, dans pas mal de styles, des choses qui s’approchaient ou du moins qui était dans une énergie caribéenne. Surtout avec certains artistes très mainstream, des gens comme Rihanna, Drake et compagnie.  Ça a ouvert les yeux des gens sur cette vibe, cette esthétique et il y a eu une ouverture sur ça. Jusqu’au point où ça se fait sur des choses moins commerciales, plus fidèle aux origines.

Le client : « Bah il faut être un chien si on veut se faire caresser ici, les maîtres n’y ont pas droit. »

La patronne : « Et bien comme ça tu sauras en quoi te réincarner ! »

Le Son Dowdelin

 

Olivya : David est à la DA mais c’est très collégial, on fait tous des propositions sur les compositions. On part de feuille blanches. On est là, posés et on teste des trucs. Je fais des petites vocalises, « ha mais viens ça on garde ». Le lendemain on revoit le truc, on affine. Parfois on part des percussions, parfois d’une ligne de basse, parfois d’une mélodie de chant. Mwen vié par exemple, c’est parti d’un délire où Raph jouait avec son sax, sans souffler dedans, juste le bruit des clés. On était sur le point de se barrer et on se dit « attends, il faut absolument qu’on enregistre un truc avec ça ». Ça a commencé comme ça et en une heure et demi, ça a fait un morceau. Pour les arrangements clavier, David fait sa sauce et on propose des idées autour. A l’arrivée, c’est comme faire une tournante au ping-pong, les idées tournent, on échange dans tous les sens.

Raphaël : Dans notre processus, David fait beaucoup écouter les compos au fur et à mesure à l’extérieur, aux gens en qui il a confiance. Et c’est super intéressant car tu as plein de feedbacks. Mais tu es aussi toujours un peu influencé par ce qu’il se passe à l’extérieur. Je préfère toujours faire un truc qui va peut-être déplaire, déranger, mais qui vient vraiment de moi, plutôt que de faire quelque chose qui va être la somme de plein d’informations que je vais avoir et qui va être plus conventionnel, qui va marcher, mais qui me ressemblera moins. C’est ce qui me fait plaisir avec Dowdelin : j’entends notre univers, je n’ai pas l’impression d’écouter machin qui fait à la façon de, ou de voir le cahier des charges. Il y a vraiment une esthétique propre au groupe.

Olivya : C’est ce que j’aime, en toute modestie, avec ce disque, c’est que tu t’enrichis au fil des écoutes. Au début, tu cherches tes repères pour ne pas être trop paumé, après tu trouves les influences.

Raphaël : Prenons le morceau Ka Fwo Bit par exemple, que l’on a fait hyper facilement, jusque dans les paroles. Ça s’est fait en une matinée. J’étais parti d’une rythmique de base en ¾ et après, si tu mets une caisse claire façon bluegrass, enlevée du 2, ça fait un truc vachement New Orleans. Alors qu’à la base, ça ne partait pas de là du tout. Là où on arrive à une fusion, c’est quand on arrive à mélanger les aspects rythmiques, mélodiques et structurels de certaines choses entre elle là où normalement on n’y penserait pas. Ça a aidé aussi à la cohérence du projet car c’est la ligne directrice, le processus sur tout le projet.

Les percussions vocales dans la musique créole s’appellent les boula’ djel et on a d’ailleurs un morceau qui s’appelle comme ça, le dernier de l’album. C’est quelque chose que je connais bien car on retrouve ça dans le Gwoka, la musique traditionnelle de Guadeloupe. Et un jour, je le fais sans y penser et David me dit « Tiens, c’est marrant, viens on enregistre ». Après il a taffé dessus, il les décale, les tord, et ça fait quelque chose de différent qu’un puriste refuserait absolument. Il rajoute des claviers percussifs, un beat un peu sec, bien synthétique et voilà. Il y avait une volonté dans le son d’aller vers un minimalisme, un truc un peu lo-fi, qui va bien avec le nom Dowdelin. Je pense que David s’est vraiment inspiré de l’expérience de notre groupe de jazz caribéen, sans chercher à faire un truc traditionnel mais plutôt à trouver la patte Dowdelin.

Olivya : C’est un projet vraiment marrant, épanouissant, qu’on a enregistré sur 6-8 mois. Le groupe a commencé il y a 2 ans, il a été enregistré il y a un an et après c’est tout le reste, le mix/mastering, l’artwork, la promo, le travail du live. Bien que chacun soit pas mal occupé avec ses projets personnels, on a réussi à aller relativement vite. Tout s’est passé très naturellement.

Les Retours

 

Raphaël : Ça a l’air d’accrocher même si dans les compositions, rien n’a vraiment été pensé pour directement.

Olivya : Pour moi c’est étrange car c’est la première fois que j’arrive à aller aussi loin dans la musique. Ce n’est pas énorme mais pour moi c’est super ce qui nous arrive. Et je pense que ça va continuer.

Raphaël : Le projet a intrigué. Ça veut dire qu’il y a quelque chose d’un peu frais, de nouveau. C’est déjà super.

Olivya : Même sur scène, ça se ressent… On a presque l’impression que les gens ne savent pas s’ils aiment ou pas, et du coup, ils sont curieux, ils restent jusqu’à la fin pour sa faire une idée globale sur l’univers. C’est ce qui s’est passé au Transbo notamment, pour les Nuits Zébrées. C’était énorme car on n’a pas perdu quasiment personne tout au long du concert alors que pas grand monde ne nous connaissait. En plus on a joué vers 23h, on était au milieu du set, c’était parfait.

Raphaël : Sur cette date, j’avais été surpris par Satellite Jockey, qui fait de la pop très 70’s, un peu anglaise. J’avais écouté avant ce qu’ils faisaient et en live ça rend super bien et ça avait bien marché. Il y avait aussi Aufgang qui nous a beaucoup marqués, un duo avec un pianiste et un batteur, c’était super intéressant, basé sur les percussions. Et ce n’était pas statique alors qu’ils étaient tous les deux assis, ça bougeait, c’était très électrique.

Pour revenir au sujet, je trouve que c’est presque plus intéressant de voir cette réaction en deux temps que d’être déjà populaire auprès de tout le monde. Ça me rappelle certains albums ou la première fois ou tu les écoutes, tu te dis « ha ouais c’est pas mal » mais sans être complètement emballé. Et tu finis par les réécouter plein de fois et à découvrir des nouveaux trucs. Si on s’approche de ça, c’est super.

Le premier exemple qui me vient, c’est Voodoo de D’Angelo. C’est un disque excellent, un classique. Ce n’est pas un disque difficile d’accès, mais il y a quelque chose qui se mérite au fur et à mesure sur cet album. C’est un disque qui infuse au fil des écoutes, des morceaux que tu aurais pu écouter juste comme ça restent… Jusqu’à finalement que tu ne puisses plus t’en passer.

La patronne : Une Seat León, c’est à quelqu’un ?

Nous : Non non.

La Patronne : Car elle est en train de partir en fourrière. Une Audi A3 non plus ?

Nous : Ha non non, pas encore mais bientôt peut-être !

La Patronne : C’est vrai que bizarrement, en vous voyant, j’ai commencé par la Seat.

La Musique Aujourd’hui

 

Raphaël : Dans mes dernières claques, il y a Oxnard, l’album d’Anderson Paak, qui est vraiment vraiment sympa. C’est un vrai mélange de soul et rap. Il y a la couleur californienne qui me parle beaucoup. J’imagine des couleurs quand j’écoute de la musique et là je vois des teintes lumineuses et chaleureuses. Dans la même idée, il y a J. Cole. K.O.D. et le précédent, Forest Hill Drive, sont excellents. Le dernier Yousoupha aussi, c’est une bombasse.

Olivya : Pour moi ce serait Ricky Martin (rires). Non, en ce moment, c’est le dernier album de J. Cole (Olivya était en train de déplacer sa voiture pendant que Raphaël répondait à la question, il n’y a donc pas eu de concertation, ndlr). C’est ma grosse pépite du moment. Jorja Smith et Keo Soul aussi. Jorja Smith, son disque est super varié, on n’est pas que dans la soul posée, calme, lover, ça part dans pas mal de directions, c’est super. Après, c’est Flavien Berger. Ce qui n’est pas du tout en lien avec le reste, avec notre son. On se fout souvent de moi quand je dis ça mais j’aime de tout. Tant que ça me met dans un mood, dans un état émotionnel particulier, que ça me touche, peu importe le style. Et maintenant on a beaucoup plus accès aux choses aussi.

Raphaël : Je ne veux pas faire le vieux con, mais quand j’étais gosse, je devais choisir un CD à acheter par mois, quand j’avais eu assez d’argent de poche et que je m’étais pas fait punir. Tu choisissais le CD que tu étais sûr d’aimer, dont tu connaissais déjà la moitié. Et tu l’écoutais partout, dans la voiture, chez toi, tout le temps. J’ai été formé par ça et du coup, je ne suis pas capable de critiquer un album après une ou deux écoutes, j’ai besoin de l’écouter 40 fois et du coup, si j’y reviens, c’est probablement que c’est bien.

Le streaming permet d’avoir une ouverture. Chaque personne devient son guide musical, peut avoir des recommandations, faire découvrir des choses à des gens soit-disant plus calés, plus dans le milieu. Ma femme, qui est psychologue, m’a fait découvrir Shake Shook Shaken, l’album de The Dø et c’est devenu un classique pour moi. C’est une tuerie. Et puis c’est un œil neuf pour moi qui suis musicien. Je suis biaisé, j’ai mes codes.

En ce moment, je suis dans ma phase hip-hop, je n’écoute presque que ça depuis un mois. C’est la période aussi, maintenant que le rap est devenu la pop, il est partout. Je réécoute des artistes que je n’avais pas écoutés depuis mon adolescence. Pharaoh Monch, j’ai réécouté son disque de 2006, wow, ça déboîte. J’ai écouté le dernier Eminem aussi, une fois que les débats autour étaient calmés et pareil, ça défonce. Je suis pas fan de tout ce qu’il fait mais même sur les albums qui sont mauvais, il y a toujours une ou deux pépites qui fait que tu ne peux pas tout jeter, que ce soit au niveau de l’écriture ou autre.

Et puis, c’est le drame de certains artistes… Quand tu as touché les sommets… L’album Bad de MJ par exemple, je trouve que c’est un super disque qui a toute sa place dans la trilogie de Quincy Jones et pourtant il a été beaucoup moins bien accepté que Thriller. Je ne pense pas qu’il soit inférieur. Il a choisi de ne pas faire un deuxième Thriller et je trouve ça plus intéressant. Mais c’est toujours difficile d’enchaîner après un ou des gros succès.

Le Live

 

Raphaël : Nous sommes tous les trois, il n’y a pas de rajout de musiciens. L’idée de David était d’avoir le côté multi-instrumentiste pour d’une part faire des boucles sur scène et passer d’un instrument à l’autre. Il joue de la basse, du clavier, du sax, il chante. Du coup, on peut avoir le côté section avec le reste qui tourne derrière. Mais aussi avoir le côté live avec 2 saxs qui jouent en même temps. Cela nous permet de ne pas être huit sur scène, ce qui est impossible pour un groupe comme nous dans la réalité économique actuelle de l’industrie.

On se rapproche pas mal du disque, même si on vient pas voir un CD jouer bien sûr. Les instruments permettent l’improvisation, les solos. Nous n’avons jamais fait deux fois le même concert. Il y a une belle énergie, dans les interactions avec le public ça répond bien, c’est agréable. Les longs titres instrumentaux, qu’on cale souvent en fin de set, donnent bien la pêche. Bref, on transpire et on danse bien ! Ce qui est cool, c’est qu’on a pas mal de dates qui arrivent. C’est encourageant avec l’album qui vient de sortir, en étant un groupe qui sort de nulle-part.  On est content et on espère que ça fera boule de neige.

Il semblerait que ce soit le cas, avec de nombreuses dates déjà annoncées, dont de beaux festivals. De notre côté, on rempart vers notre confluence le cœur léger, les pensées vers la mer des Caraïbes et le sourire aux lèvres, après une dernière punchline de la patronne qui apportait un pot de rouge à un client attablé : « Toujours pas d’eau pour toi Jean-Pierre, c’est ça ? » Bang bang !