Rencontre avec :
Cédric de la Chapelle
Mercredi 22 mars, alors que le soleil trépigne d’impatience à l’idée de pouvoir enfin se montrer (il faisait beau quoi), nous partons à la rencontre de Cédric de la Chapelle. « À la rencontre de qui ?! » Calme toi, jeune. Rendez vous est prit en terrasse du Bull Café, ché-per sur les hauteurs lyonnaises, pour un petit interview avec le fondateur du groupe Slow Joe & The Ginger Accident, ni plus ni moins.
En 2007, Cédric, c’est le type qui devait partir au Cameroun avec sa copine mais qui, comme les billets avaient flambé et qu’il avait un pote à Poona en Inde, est allé le voir en pleine période de mousson (avec sa copine hein) où on lui a ensuite conseillé d’aller sur une plage de Goa et où il a rencontré un ex-toxico qu’il a décidé de ramener en France pour former un groupe avec lequel il sortira trois albums …
… Tu suis ?
L’ex-toxico, c’est Slow Joe, une espèce de clochard vagabond qui arpente les plages de Goa et guide les voyageurs vers des guest house avec lesquelles il s’arrange pour toucher une com. Cédric avait acheté un petit Ukulélé sur place, histoire de gratouiller un peu. Joe les repère de loin, les accoste et leur pousse la chansonnette. Il change les plans du couple et les amène, Cédric et sa copine, à la Guesthouse Romaldo, une de ses adresses. Le coup de coeur opère direct : Cédric récupère un gros cahier de poèmes que Joe à écrit et lui donne rendez vous dans 1 mois, le temps pour lui de faire son petit tour du pays.
De retour à Poona, ils enregistrent 9 chansons, dont 6 seront transformées en maquettes. Le résultat plaît à Joe : l’aventure commence.
« Chez nous [en France], il y a toujours le projet de création, l’envie de se mettre en avant et de montrer ce qu’on fait. Lui, il n’a jamais demandé à ce qu’on l’écoute »
« Si tu me demandes pourquoi je l’ai ramené, j’en sais foutrement rien. Le truc s’est imposé naturellement ». Le bonhomme a un don, il chante comme il respire mais il a toujours refusé de faire carrière. « Quand je lui ai proposé de venir faire de la musique avec moi en France, ça l’a tout de suite excité. Il le racontait à tout le monde autour de lui. C’est pas le mec du coin qui lui dit ”vient chanter dans mon bar”, y’avait l’aventure qui s’annonçait. C’est un mec qui a toujours suivi son destin et qui a senti ce qui arrivait ».
Arrivé en France, la machine se met en marche et tout commence avec les Trans Musicales de Rennes en 2009. Premier concert, deux trois répets, pas vraiment prêts mais tant pis, on y va. Et ça marche, tout le monde kiffe ! La suite est magnifique : 3 albums (dont le dernier à titre posthume), plus de 300 concerts, des articles et interviews en pagaille.
« Il s’est toujours donné à fond. Il a joué le jeu, il s’est marré, il a pris une dose d’amour pas possible, incommensurable. Au début, la grosse difficulté, c’était de le faire quitter la scène. Il ne partait pas »
Le groupe se compose autour de la voix et du style de Joe. Tous s’adaptent à lui. Il écrit lui même et chante tout d’une traite. Retravailler un morceau, réécrire une partie de texte, un couplet par ci, un refrain par là est impossible puisqu’il ne réfléchit pas à ce qu’il fait, tout est naturel. « Il disait ”I put pen to paper, I don’t think/je suis mon stylo, je ne réfléchis pas. » Il n’aimait pas répéter. Par contre, il aimait faire la fête. À la fin des concerts, tout le monde rentrait à l’hôtel, mais lui voulait faire la fête. Moi je restais avec lui, j’étais plutôt d’accord. Au début, il nous couchait tous ». Eh ouais gamin, on n’apprend pas au vieux singe à faire la grimace hein !
De Goa à la place Sathonay
Joe a eu une vie bien chargée, entre drogue et alcool. Pour autant, « c’est pas un mec qui est né dans la rue. La rue, il l’a choisie ». Jeune pousse d’une famille nombreuse, sa mère le fout dehors quand elle apprend qu’il se défonce. Pas de soucis, il dort sous un arbre, à 100m de la maison familiale et se démerde pour vivre, à droite à gauche. « Il avait besoin de se sentir libre tout le temps ». Du talent, il en a et ses proches le savent. Pour eux, c’est du gâchis. Alors quand Cédric débarque avec le projet du groupe, c’est un vrai soulagement. « He finally did something about his life/il a enfin fait quelque chose de sa vie ». À 64 ans.
Trop libre pour bosser, ça aurait pu être sa devise : c’est un dur à vivre. « Je pense que tout le monde m’a remercié là bas, d’emmener Joe avec moi, parce qu’il était fatiguant. Même dans sa famille, certains n’en pouvaient plus ». En 2011, terminé la galère des visas par ci par là, à essayer de gratter quelques jours pour rester un peu plus longtemps. Cette fois, il obtient une carte de séjour et vient s’installer à Lyon, place Sathonay.
« En France, dès qu’il pouvait, il écoutait de la musique »
Arriver en France, pour lui, c’est un peu Alice au Pays des Merveilles : il n’avait jamais pris l’avion, il s’émerveillait devant les escalators. « C’était un peu un indien dans la ville au début ! ».
[ATTENTION !! LA PHRASE QUI SUIT RISQUE DE HEURTER LA SENSIBILITÉ DE CERTAINS]
Il mangeait même ses pains au chocolat avec de la mayonnaise et du ketchup. « Ça faisait hurler tout le monde ». Il passait ses journées dans un café proche de la place Sathonay près de la où il habitait. Quand il était pas en répet’, il activait son mode ermite et passait son temps dans son appart à écouter du son et mater des films qui le faisaient retourner en enfance.
Une petite anecdote sympa ? Ah oui, Joe rêvait d’aller voir un ballet. Qu’à cela ne tienne ! Pour son anniversaire, Cédric l’emmène voir Le Lac Des Cygnes à la Salle 3000. « Je supporte pas ce genre de truc, mais il arrêtait pas de me parler de ballet, ballet, ballet. Alors pour son anniversaire, on y est allé. J’ai trouvé ça super nul mais il était comme un dingue. C’est un super souvenir ».
Un petit trait caractéristique ? Il était toujours méchamment à l’heure. Peut être le syndrome de la vieillesse. « Il me pourrissait pour 5mn, alors que moi je suis toujours en retard ».
Aujourd’hui, The Ginger Accident est en tournée « Hommage à Slow Joe« . Demain, on verra bien. Peut-être un documentaire sur l’homme, le groupe et sa naissance.
C’est sur ces derniers mots que nous prenons congé de Cédric, ou plutôt l’inverse, car lui est attendu pour une autre interview, alors que nous … Il est déjà presque 16h et le soleil est toujours avec nous en cette journée du 22 mars. Tiens, 22 mars. Joe aurait eu 74 ans aujourd’hui.
Comme quoi, le destin fait bien les choses …