Jazz à Vienne – Deuxième Semaine
Après une belle première semaine et notamment un samedi anthologique, on repart pour une deuxième semaine avec la French Touch dès mardi. On commence avec les frères Moutin (batterie et contrebasse) et leur factory, avec notamment le jeune et brillant Thomas Enhco au piano. Le set est dynamique et plein d’envie et d’éclairs, les sourires au rendez-vous. Si je n’ai pas forcément goûter à tous les terrains de jeu explorés, notamment par le saxophoniste, cela faisait du bien de se rafraîchir les esgourdes avec du bon jazz des familles. La ballade Forgiveness restera un très beau moment, tout comme le “duo de jumeaux” en hommage à Ornette Coleman. Une très belle mise en bouche et le plaisir d’entendre une fois de plus Manu Codjia.
© Jean-François Lixon
S’ensuite le quartet de Daniel Humair où l’on retrouve l’ami Peirani à l’accordéon (qui accompagnait déjà Youn Sun Nah), Jérôme Regard au saxophone et Emile Parisien à la basse. Là-encore, le quartet nous fait voyager en nous emmenant parfois très loin. Cette formation originale apporte des sonorités et des mélanges plutôt inhabituelles et les jeux de Peirani et de Regard se complètent très bien lors de solos habités. Les influences sont multiples, la musique métissée et si parfois certaines compositions sont un peu difficiles, on passe un très bon moment.
Pour finir cette soirée au théâtre antique, on retrouve un quatuor reformé pour l’occasion avec quelques têtes de gondoles du jazz (et plus généralement de la musique) européen, Katché, Légnini, Bona et Di Battista. Un set où le groupe jouera des compositions des uns et des autres réarrangées. Le son est plus doux et plus chaud et je découvre avec un bonheur non dissimulé le talent de Richard Bona à la basse. Mon Dieu… Sa capacité à de glisser des fins de phrase enlevées et folles en viendrait presque à cacher les solos de ses comparses. J’ai entendu le public s’exclamer d’un gémissement de satisfaction après une descente de basse incroyable en plein solo de Legnini. On sent les musiciens complices, un Di Battista qui a besoin de s’amuser et on prend beaucoup de plaisir avec eux. Je devrais partir avant la fin du set pour cause de froid, dos en compote et compagne pas à fond mais ce fut une belle soirée 100% jazz, et cela fait du bien car il n’y en a finalement plus tant que ça dans ce festival.
Notre choix suivant se porte sur la soirée Brésil de jeudi, seulement deux jours après la gifle face à l’Allemagne. Vinicius Cantuaria ouvre le bal avec un set court et agréable. Entre en scène ensuite Eliane Elias, chanteuse mais aussi pianiste de talent. Accompagné du légendaire Marc Johnson à la basse (également son mari à l’occasion), la chanteuse nous a abreuvé le douceur et de classiques, avec quelques moment enlevés et notamment de belles prouesses de la part de son batteur Rafael Barata (que l’on retrouvera dans la fosse avec ses amis lors de Sergio Mendes et qui ne manquera pas de s’offrir le kif d’aller jouer avec lui sur le final). Un bon moment.
© Jean-François Lixon
La tête d’affiche, présent pour la première fois à Vienne, c’est Sergio Mendes. Ne faisons pas traîner les choses, si le concert était plaisant et bonne ambiance, je n’ai pas forcément goûter à ce Brésil édulcoré à la sauce Mendes. Claviers sonnant un brin trop 90’s et cheap, costumes un chouia ringard, solos de saxophone langoureux, rappeur bien propre et poli sorti pour l’occasion, et un point d’orgue qui fut une ballade ringardos assez indigeste. Le show semble plus calibré pour faire découvrir la musique brésilienne à stade américain que pour enjouer les amateurs de jazz. N’empêche, la musique brésilienne a cela qu’elle nous met le sourire, même quand le concert ne rempli pas nos espérances. On aurait aimé quelque chose de plus authentique mais tant pis.
Dernière nuit de cette édition pour nous, la All Night Jazz a tout d’un cocktail explosif. On arrive pour voir Tom Harrell et son quintet (avec notamment Esperanza Spalding). Le son est très agréable, classique mais très beau, pur et mélodieux. Harrell, chef d’orchestre diplômé, est en effet un as de la mélodie accrocheuse. Point de piano ni de guitare pour accompagner, mais des saxs, une trompette et deux basses. L’homme apparaît fatigué mais ne manque pas d’assurer à la trompette et de nous régaler de ces compositions. La soirée commence en douceur mais parfaitement bien.
Pour la suite, on fonce dans la fosse pour voir Gregory Porter de plus près. On a bien fait. Dès que résonne le début de “On My Way To Harlem” et sa rythmique rapide, on prend notre pied. Entre morceaux rythmés et ballades jazz, le chanteur est toujours au top, sa voix onctueuse et ses graves suaves. Ces musiciens ne sont pas en reste, notamment Yosuke Sato au saxophone qui emballera la foule à plusieurs reprises. Gregory Porter confirme son statut de grand monsieur. Si grand que j’aimerais bien le voir explorer d’autre répertoires et sonorités, tendant plus vers le funk. Je pense que ça pourrait être délicieux.
Après Porter, on arrive enfin à ce pourquoi la moyenne d’âge de l’amphithéâtre a énormément baissé samedi soir. The legendary crew from Philly, The Roots, vient donc nous ambiancer pour une grosse heure et demi de show. Autant vous le dire tout de suite, ce fut mortel. Passés quelques soucis de son au début (en tout cas dans la fosse), on a assisté à un show superbe où le groupe a su joué ses classiques, toujours adaptés et différents, mettre une patate de dingue à base de sourires, de vannes, de choré à deux balles, d’exhortation du public, de solos héroïques, de flow enflammés et tout et tout. Les Roots sont venus et ont été parfaitement à la hauteur de leur réputation et de ce qu’on attendait d’eux: de vrais musiciens communiant avec leur public et prenant un pied monstre. Selfies devant la foule et offrande de baguettes pour Questlove (le maestro avait un micro qui ne sortait que dans les oreilles des ses potes pour les ‘diriger’ dont il profita à plusieurs reprises si l’on en croit les sourires et les regards de ces derniers vers l’afro du batteur).
Le show se termine, on est vidés, presque frustrés de cette heure et demi passée beaucoup trop vite. On reste pour voir le Récital de Mourad Merzouki. La musique du spectacle est très cool, un peu en mode ‘Thé à la Menthe’ avec des rythmiques puissantes sur des synthés et mélodies orientales. Certains danseurs sont super chauds, d’autres plus approximatifs mais on prend quand même plaisir à admirer les prouesses techniques des artistes. Une sorte de descente en douceur après la tuerie des Roots. On ne restera pas pour l’Hypnotic Brass Ensemble, on boit un kawa et on rentre à la maison, il est déjà tard. Jazz à Vienne s’arrête ici pour nous, on a préféré garder nos deux reins plutôt que d’aller voir Stevie Wonder. Bien sûr on va regretter mais bon, tant pis et à l’année prochaine.