Rencontre avec :
Xavier d’Original Watts!
Cela faisait plusieurs fois que je voyais fleurir sur la page facebook d’Original Watts ! de nombreuses galettes qui me faisaient de l’œil. Bloqué chez moi pour un bout de temps à cause d’une blessure à la con, mon seumomètre personnel commençait à flirter dangereusement avec la zone rouge. Je demande donc à Xavier, gérant de la boutique, de me mettre une sélection de côté en attendant des jours plus mobiles. Quelle ne fut pas ma surprise quand celui-ci se propose de me livrer tout ça à domicile : « ce sera réglé en deux coups de pédale ! » me dit-il. J’accepte volontiers à condition qu’il me permette de lui payer le café et de tailler le bout de gras.
Il se trouve que ces deux coups de pédale n’ont pas été de tout repos, la faute à un vent à décorner les Darmanin. Mais, celui qui avait pris les devants en livrant à vélo pendant le confinement, finit pas arriver. Deux cafés sur la table et la discussion s’enclenche très vite. Je découvre un gars vraiment cool, curieux, boosté par sa passion et son envie de rencontres. On parle de la boutique, du métier de disquaire en 2020 et un peu de la vie aussi.
Commençons par le commencement : pourquoi ce nom ? « Original, car c’est le cœur de métier de la maison d’édition, me dit Xavier. Et Watts, c’est en référence au quartier de Los Angeles où ont eu lieu les émeutes, enfin plutôt le mouvement de 1965. » Derrière ce nom, qui donne un logo impactant, comme une onomatopée qui nous explose aux yeux, se cachent en fait deux entités : une maison d’édition de bande dessinée, créée par le frère de Xavier, et la boutique qui regroupe quelques mètres linéaires de BD, mais aussi et donc surtout, des vinyles.
Côté BD, « le frangin », comme l’appelle Xavier, confectionne à la fois de la réédition et des créations avec un attachement particulier à la qualité de l’objet et aux circuits courts. Il cherche avant tout à mettre en valeur le travail des auteurs, respectant l’œuvre originale tout en y apportant sa patte via des bonus et des annexes rares. En tant qu’éditeur, ils ne publient que des ouvrages en édition limitée, le plus souvent signée et numérotée. Bonus : tout cela est local et imprimé à Bourgoin-Jallieu. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site !
« J’ai beaucoup aimé faire les marchés. D’abord parce que tu rencontres beaucoup de gens et que c’est toi qui va chercher les clients. Et puis c’est un univers en soi, un monde un peu à part. »
La boutique, gérée par Xavier, a elle ouverte il y a 3 ans. Mais son histoire avec les disques est en réalité bien plus ancienne puisqu’il a fait sept ans de marchés avant de l’ouvrir. Sept années où vous l’avez peut-être croisé sur la place Carnot, le Boulevard de la Croix-Rousse, la place Ambroise Courtois, à Saint-Jean… « J’ai beaucoup aimé faire cela. D’abord parce que tu rencontres beaucoup de gens et que c’est toi qui va chercher les clients. Et puis les marchés, c’est un univers en soi, un monde un peu à part. Mais c’est aussi pas mal de contraintes : beaucoup de manutention, une dépendance à la météo… Au bout d’un moment j’ai senti que j’avais fait le tour ».
A l’affut d’une bonne occase pour ouvrir une boutique, il trouve son bonheur rue des Capucins. « Le loyer n’est pas donné mais l’emplacement est top. » Malgré cela, Xavier continue pendant un an à écumer les marchés en parallèle de la boutique, bossant 7 jours sur 7, avec des journées de boulot commençant parfois à 4h pour finir à 22h. « Quand j’ai arrêté au bout d’un an, j’étais épuisé. Je me suis demandé comment j’avais pu bosser autant, sans jour off. Je ne pourrais pas le refaire. Et puis il y a ma famille, j’ai envie d’en profiter. »
« Les disquaires peuvent parfois être vu comme des lieux élitistes par les gens qui n’y sont pas familiers. Il faut aussi savoir être accessible aux néophytes. »
Après 3 ans, Orignal Watts ! est désormais bien identifiée et fonctionne à son échelle. Avec comme tout le monde, des hauts et des bas. « Pendant le confinement, j’ai pu faire des livraisons à vélo. C’était surtout pour des clients habitués, mais aussi pour quelques nouveaux. Économiquement, cela m’a permis de payer le loyer, mais surtout d’être actif, de garder le contact avec les clients et de prendre l’air ! Heureusement, la reprise a été plutôt bonne sur les mois suivants et on a pu prendre quelques congés cet été. » Mais tout cela repose uniquement sur Xavier qui, mis à part quelques gracieux coup de main des potes ou de la famille, gère tout en solo. « C’est difficile de trouver un équilibre économique et le bon moment pour amener quelqu’un d’autre dans l’aventure. Mais si on ouvre la vente en ligne, comme j’aimerais le faire bientôt, je vais devoir m’entourer. » [Second confinement oblige, ces perspectives d’expansion de l’équipe sont mises entre parenthèses, ndlr.]
Et oui, car pour l’instant, à part une page Discogs où l’on ne trouve qu’une petite partie du stock, vous serez obligés d’aller chez OW ! pour chiner parmi ses références. Et ce n’est pas plus mal aux yeux de celui pour qui les rencontres sont une partie plaisante et importante du job. « Je suis plutôt bien luné et l’accueil est une chose très importante pour moi. Je m’efforce de recevoir les clients avec bienveillance, je les écoute. Par exemple, j’ai parmi mes clients une personne qui a commencé sa collection en diggant du Claude François à fond. Pas vraiment le truc qui émoustille un disquaire à la base. Mais le mec a fini par pousser la porte de ma boutique. Et derrière le ‘vernis’ Claude François, je découvre une personne qui est aussi calé en hip-hop, en musique anglaise… Il ne faut pas juger aux premiers abords. C’est une super rencontre, que ce soit au niveau humain ou en termes de business, car c’est aussi devenu un très bon client. Les disquaires peuvent parfois être vu comme des lieux élitistes par les gens qui n’y sont pas familiers. Il faut aussi savoir être accessible aux néophytes. »
« Comme dans tous les commerces, un disquaire se doit aussi de bien communiquer. […] Ce n’est pas le tout d’avoir de bons disques, il faut aussi savoir les défendre. »
Une porte d’entrée qui peut passer aussi par les réseaux sociaux ? « Je sais que c’est important d’avoir cette visibilité là et j’essaye de m’y atteler, mais ce n’est vraiment pas ce que je préfère. Comme dans tous les commerces, un disquaire se doit aussi de bien communiquer. Que ce soit en ligne ou à la boutique, via des coups de cœur ou la mise en avant de mes rayons. Ce n’est pas le tout d’avoir de bons disques, il faut aussi savoir les défendre. » Si certains disques squattent parfois les bacs plus longtemps qu’il ne l’aurait imaginé, il se passe aussi parfois de drôles de déclics. Ainsi, un samedi, Xavier décide de jouer dans la boutique l’album tout frais du duo Mama Ode, Tales And Patterns Of The Maroons. Il en fera partir cinq en à peine une heure et demi.
Fort d’une expérience non-négligeable désormais, Xavier constate aussi l’évolution du métier. « Pour moi la passion est née en fouillant dans les bacs. Je me faisais des kifs en tentant des choses sur des disques pas trop chers, je faisais des tonnes de découvertes. Mais le marché du vinyle change : il y a plus de clients, plus d’offres, que ce soit de la part de pros ou de particuliers, et plus de neufs édités. Ces clients ont des goûts variés et recherchent parfois des choses très précises. Internet permet de trouver tout ça aujourd’hui. Après, tu passes à côté de ‘l’expérience disquaire’ : se faire surprendre, trouver autre chose que ce pour quoi tu étais venu. Conséquence de tout ça, j’ai plus de difficultés à faire rentrer de l’occasion et je bosse beaucoup plus de nouveautés qu’avant. C’est une autre facette du métier. »
« Les disquaires indés, on est toujours un peu ambivalents à propos du Disquaire Day. C’est à la fois un sacré coup de projecteur sur l’objet mais ça nous demande aussi de mettre la main dans une machine qui ne nous plait pas vraiment. »
Des nouveautés, il en commande notamment pour le Disquaire Day. Dans une année bien particulière, l’évènement a été divisé en quatre occurrences (juin, août, septembre et octobre). Une adaptation de format qui a pour lui dilué cette journée d’habitude assez spéciale. « A part pour la journée de fin juin, j’ai l’impression que les gens sont vraiment passés à côté. Cette année, j’avais décidé de jouer le jeu et j’ai fait pas mal de commandes. Pour l’instant, je ne m’y retrouve pas trop. Après, les disquaires indés, on est toujours un peu ambivalents à propos du Disquaire Day. C’est à la fois un sacré coup de projecteur sur l’objet mais ça nous demande aussi de mettre la main dans une machine qui ne nous plait pas vraiment. »
Mais alors, qu’est-ce qu’on trouve chez Original Watts !? Si, comme tous les disquaires, il ratisse plutôt large, Xavier a une prédisposition pour les « musiques noires » (terme fourre-tout faute de mieux) : jazz, soul, funk, afrobeat et hip-hop y ont une place de choix. Un panel pas si mal représenté par la commande qu’il m’a gentiment livrée: des français qui font de la musique brésilienne (Les Masques – Brasilian Sound), un fantastique Fairuz composé et arrangé par le grand Ziad Rahbani (Maarifti Feek), la BO de Serpico, du jazz funk en mode mine de sample (Billy Brooks – Windows of the Mind) et la dernière connexion Freddie Gibbs/Alchemist (Alfredo). Pas dégueu non ?
La meilleure façon de vous faire une idée aurait été en temps normal de vous rendre à la boutique où le chaleureux Xavier aurait pris un malin plaisir à vous faire quelques recommandations. Ou de vous dénicher le dernier Claude François qui manquait à votre collection. En attendant ces temps apaisés, il faudra vous contenter d’internet, que ce soit en guettant les nouveautés sur la page FB de la boutique ou en fouillant sur sa page Discogs. Support your local dealer!