Rencontre avec Eric Bellamy
Pt. 1 – IPM et la Lyonnaise des Flows
2018 est définitivement une année de champion: vingt ans après, une seconde étoile vient coiffer le coq national et un classique du rap français estampillé 6-9 refait surface. « La Galerie des Glaces », premier album du groupe IPM, est réédité en digital et en vinyl collector. Accompagnée de leur second album et d’un best of, cette réédition sera honorée en live le 29 janvier au Ninkasi Gerland. D’abord DJ, Eric Bellamy est ensuite devenu manager et tourneur du groupe. Du premier label de rap lyonnais, La Lyonnaise des Flows, à l’une des plus grandes sociétés de production de spectacles de rap francophone, retour sur le parcours du patron de Yuma Productions.
Comme une partie de sa génération, Eric Bellamy découvre le hip-hop à travers l’émission de Sidney et Grandmaster Flash. « Après j’ai eu une grande époque variété, top 50. Je me suis vraiment remis dedans quand j’étais en Côte d’Ivoire, en 87/88, dans les discothèques ils passaient déjà du rap US. Il n’y avait pas de scène locale mais par contre ils consommaient vachement. »
C’est en 1990 qu’avec des potes de Vénissieux pour la plupart, Eric Bellamy fonde Intelligent Posse Movement qui regroupe une quinzaine de lycéens et étudiants autour du hip-hop au sens large. Danse, rap, DJing et graffiti se croisent dans ce mouvement influencé par la Zulu Nation : « On était touché par ça, transformer le négatif en positif. Faire du positif autour de l’art. »
Jusqu’à la sortie de « La Galerie des Glaces », le crew réalise une trentaine de concerts en répétant dans le local « mis à disposition par la mairie du 8ème arrondissement et le centre social du Boulevard des Etats Unis. On y allait au moins une à deux fois par semaine. C’était déjà assez bien équipé. On était en autodidacte et après les premiers concerts de 91, des mecs du rock nous donnaient des conseils. »
Alors qu’à cette période le rap est perçu comme marginal, IPM parvient à tourner notamment grâce au FAS, une branche du Ministère de l’immigration: « C’était chaud dans les banlieues. Le hip hop était le nouvel eldorado de la jeunesse pour calmer les tensions. Je faisais partie d’un réseau à Lyon, Inter Service migrant, qui s’occupait des jeunes issus de l’immigration au sens large. Il y avait un volet culture, on recevait des offres de concerts à travers eux. C’est comme ça qu’on s’est monté en association pour pouvoir encaisser l’argent, faire des contrats. »
« Beaucoup de gérants de labels doivent à Patrick Colleoni,[…] il a travaillé avec toutes les cailleras de la planète, il n’y avait pas de problèmes. Il a fait énormément pour le rap français. »
« Il y avait Paris et Marseille, mais à Lyon, il n’y avait pas de structure sur le rap. On a lancé le premier label hip hop lyonnais avec des prêts étudiants, pour avoir un fonds de départ et financer l’album, le mastering, les affiches, la promo… C’est comme ça qu’on a démarré l’histoire, avec Patrick Colleoni on a trouvé le deal de distrib, derrière il nous a conseillé et puis on a appris tous les corps de métier sur le tas. […] Beaucoup de gérants de labels doivent à Patrick Colleoni, qui est décédé d’un cancer. C’était un mec qui venait du punk, un peu rebelle, et qui était à fond hip-hop. Il a créé le label Invasion qui a sorti 90% des artistes de rap français de l’époque. Il avait un deal de distribution : il disait aux artistes « gardez vos sous, je vais vous montrer comment on fait du biz ». Il signait tous les trucs, il a travaillé avec toutes les cailleras de la planète, il n’y avait pas de problèmes. Il a fait énormément pour le rap français. Il était là pour faire tourner sa boutique évidemment, mais il était pas là pour s’enrichir. Il a lancé plein de carrières. Comme des DA que je connais et qui étaient stagiaires chez lui. Ils lui doivent beaucoup… »
D’Intelligent Posse Movement, le groupe est devenu Impact Par les Mots au moment de la création de l’album en 1997 : « On était moins dans l’époque Zulu Nation et on passait vraiment dans la période d’un groupe musical qui a envie de tourner. C’était important de choisir un nom français ». Dans le même temps, « il y avait le graff et la danse urbaine qui étaient courtisés dans les milieux artistiques contemporains et l’industrie du disque qui s’intéressait au rap. Les disciplines se sont séparées à ce moment-là. » D’environ quinze personnes, le groupe est passé à deux rappeurs principaux (Lucien 16S et Venom), un DJ (Krisfader) et 2 danseurs (Lacere et Karim) « On a eu un rappeur de plus (TG Ox) qui est venu sur le deuxième album . Mais on a quand même eu un noyau dur de 5 personnes qui n’a pas bougé depuis le début. » Eric Bellamy, aka Le Sourcier, est devenu beatmaker suite à l’acquisition d’une Roland W30 qui permettait de créer des sons à partir de 30 secondes de samples, en comptant les mélodies, la batterie etc… Une prouesse qui explique le côté épuré et minimaliste des instrumentales de l’époque. « Il y a des morceaux qui ne sont jamais sortis. J’ai commencé par les face B en tant que DJ et au bout d’un moment j’ai commencé à sampler un peu de vinyles […] j’allais à la Part-Dieu, ils ont une énorme bibliothèque de sons. »
Avec un album imprégné des sonorités de la East Coast, IPM a bâti un premier projet puissant qui résonne encore comme l’un des seuls classiques de la ville rhodanienne. En témoignent les noms en featurings. « Sur l’album on cherchait à faire un axe Paris-Lyon-Marseille. Avec 3ème oeil on se connaissait car on avait fait une date avec eux à Marseille, et Ärsenik sont les cousins de Venom, le rappeur principal et le plus jeune [16 ans à la sortie du premier album]. Il avait toutes les idées en tête, c’était un diable de la musique. »
Pour enregistrer « on allait dans un studio qui s’appelle le gramophone. C’était des gens du rock. C’était vraiment le choc de deux mondes, mais c’était devenu des super potes après. Sur l’enregistrement on leur faisait confiance, mais sur les mix ils n’avaient pas le son qu’on cherchait. On a choisi de faire venir un mixeur de Paris, Jeff Dominguez » qui a notamment bossé sur Opéra Puccino, Princes de la ville, Busta Flex, etc…
En parallèle, « on a embauché un salarié au sein de la Lyonnaise des Flows, Chris, pour nous aider sur la promo. Il venait de Sony Lyon. A l’époque à Lyon, il y avait une antenne locale de Sony, d’Universal et il y avait Skyrock Lyon. […] On a développé la structure en sortant plusieurs maxis d’IPM, Kesto, un album de chanson, de rock, de métal, de musique africaine… »
« J’ai revendu tout mon matos à Akhenaton. Il cherchait une MPC3000 […] et derrière il a fait tous les Taxi avec… »
Grâce aux 120/130 concerts qu’ils ont réalisés suite à leur premier album, IPM a multiplié les rencontres, d’IAM à NTM, et les voyages, du Maroc à la Croatie. C’est ainsi qu’ils ont pu collaborer avec des beatmakers autrichiens, suisses ou croates pour leur second album : « Ils avaient un son particulier, très cainri et à la fois les influences des pays de l’Est ». Sur ce projet, Eric Bellamy s’est retiré du beatmaking pour devenir manager et tourneur d’IPM. « J’ai revendu tout mon matos à Akhenaton. Il cherchait une MPC3000, il y en avait peu sur le marché, elle avait un son un peu spécial. J’avais envoyé un mail pour dire que je vends mon matos et Aïcha, la femme d’AKH m’avait répondu. On est tous allés à Marseille dans le studio de la Cosca à l’époque, et avec Akhenaton quand on se croise on rigole, derrière il a fait tous les Taxi avec… »
« Sur le deuxième album on s’est vraiment pris la tête, peut être trop, on a perdu la spontanéité du premier album. […] On a essayé de signer avec Universal music Publishing mais ils nous ont plus embrouillé qu’aidé à progresser. C’est ce qui a fait qu’il y a eu des tensions dans le groupe, on voulait pas tous aller dans la même direction. C’est pour ça que cet album est un peu large, parce qu’il devait arriver à contenter tout le monde ». S’il est large, il est également pointu par la diversité et la qualité des instrumentales, à l’image d’High-Tech. Sûrement la première de ce style, entre l’univers des Bone Thug n Harmony et de Salif, dans le paysage rap français.
Alors qu’IPM venait de mettre 1 pied dans l’biz, avec des featurings de haute voltige comme Busta Flex et Faf Larage, le distributeur qui avait leurs disques a déposé le bilan. « C’était au début des années 2000. Tous mes collègues parisiens sont allés direct dans les bureaux de la boîte et ont menacé tout le monde pour récupérer leurs disques. Comme nous on était à Lyon et un peu naïfs, on l’a pas fait. L’huissier de justice a saisi tous les disques, on n’a pas pu les récupérer, on n’a jamais été payé et on s’est retrouvé dans la merde… Que des pertes… Le patron de la boite de distrib c’était un mec qui venait de chez Sony, il a rebondi sur autre chose, il était déjà millionnaire… C’était un financier. Nous on s’est retrouvés au milieu de tout ça, on était naïfs… Même par rapport à l’huissier de justice, on aurait pu mettre la pression, au moins pour racheter nos stocks. On n’y a même pas pensé… on était abattus…
On a continué à faire des concerts pour gagner de l’argent, mais ça devenait compliqué à ce moment là. J’étais moins dans le groupe, plus à essayer de sauver ma structure [Lyonnaise des Flows]. Et puis c’est comme ça que j’ai regardé les activités les plus lucratives : je voyais que le disque c’était compliqué et j’ai décidé de me concentrer sur le live. C’est à ce moment là que le choix s’est fait.
« J’aimais bien la gestion d’entreprise. Le métier de manager me plaisait moins, même si finalement on en fait un peu par défaut. Ce qui m’intéressait c’était de faire du business avec d’autres partenaires, la production, la vente de spectacles, etc… Et j’ai eu mes enfants aussi, ça a changé les choses. »