Rencontre avec :
P. Moore

On ne saurait trop imaginer un monde sans musique électronique aujourd’hui. Pourtant, ces boucles répétitives à tendance hypnotiques n’ont fait hurler les parents qu’à partir des années 90. Née à détroit, la techno a traversé la manche à 220 BPM et squatte tous les clubs de France (pour ne pas parler d’ailleurs). Des Etats-Unis à l’Angleterre, cette tendance, on la doit aux DJs précurseurs qui ont su imposer une nouvelle forme de culture : celle des raves party. Ces fiestas libres aux milliers de personnes se font rares depuis les années 2000, traquées par les autorités. Paperboys a voyagé en terre des raves party, que seuls les quarantenaires pourront décrire. Rencontre avec le Dj lyonnais Patrice Mourre, aka P.Moore, figure emblématique locale de ces années libres.

 

PMMM@crédit photo (Francesco Jacqueti)

 

Resté au frais, à l’ombre de ses vinyles, P. Moore reprend le pitch de ses platines en main et revient motivé avec quelques dates pendant l’année. 46 ans dont 12 passé à s’investir avec Nuits Sonores, P. Moore a cartonné dans les années 90, résident du Rex Club à Paris ainsi que sur radio FG. Il a vécu cette période où les murs se sont écroulés, laissant place aux vagues de liberté. Les années débauches auront finalement duré 10 ans puis la police a interdit les raves. Une période qui annonce le début d’un racisme anti-techno.

P. Moore est DJ depuis 1986. Musicien de base, il a commencé dans les bleds avec les disco mobiles. Son époque, c’est celle des Summer of Love : la culture hippie révélée un été 67 à San Francisco. DJ généraliste au Ménestrel, boite de nuit sur les quais de Saône, il démissionne en rentrant de l’armée en 90. Il ne veut plus passer du rock ou du Claude François. La musique qu’il aime, c’est celle fraîchement venue de Détroit : la techno.

« La musique électronique acide, tout le monde détestait ça à l’époque »

Organisateur des soirées Hypnotic en 92, dans un squatte devenue club techno sur les pentes de la Croix Rousse, P. Moore raconte que tous les samedis pendant quatre mois, les danseurs se retrouvaient au 3ème au sous-sol d’un immeuble abandonné. Pour y accéder, il fallait traverser un microscopique hall d’immeuble, longer des couloirs et descendre des escaliers vieillots. En bas, l’on trouvait deux dancefloors. Le club a fini par fermer ses portes.

«Pour connaître les lieux de teufs, la communication, c’était l’info-line»

À cette époque, on utilise la musique pour danser, pour se défouler. Une utopie de vie est incarnée par les fêtes sans limite. P. Moore parle d’un triangle d’or, une scène techno locale influencée par Détroit, représentée par Lyon, Annecy et Grenoble. Le label Tekmics en est la preuve – avec dans le convoi Miss Kittin, Miloch, Ralph …

Ces manifestations spontanées se sont construites une réputation sur laquelle le temps n’a pas d’effet et le conformisme pas sa place, grâce entre autres à un public looké, acid et rave à la fois. 

« Les gens se préparaient à l’avance. La mode était aux couleurs aux performances »

P. Moore n’oubliera jamais ces parties semi-clandestines. À l’image de celle de Bauduc, un 14 juillet. À marée basse entre les dunes de sable et quelque six mille personnes, il mixait face à la mer au soleil levant. Un moment unique doublé d’une anecdote sympa. Sur la plage, un restaurant, tout en bois, réunissait un tas de photos noir et blanc de supers stars de la chanson. Là, deux types sont arrivés, dont Jack Nicholson. Le célèbre acteur a rejoint les raveurs dans les dunes pour danser. P. Moore peut aussi se vanter d’aussi joué aux Transmusicales de Rennes – une des plus grosses teufs techno de l’époque.

 

PMphoto(Photo prise dans une des pièces du squat sur les pentes, 1992)

« Tout a évolué, le public est plus massif et plus éduqué qu’avant »

En ville comme en province, les fêtes étaient plus démentielles les unes que les autres. On parle de l’époque CODA, le magazine de référence. De Boréalis à Montpellier aux Dragons Ball d’Avignon, les raves étaient en pleine ébullition. Les jeunes délaissaient les clubs.

P. Moore a spécialement kiffé la première saison des soirées Dragon Ball, celle dans la carrière de minerais où le sound système était placé au cœur d’une crevasse. Une rave parfaitement bien organisée d’après le DJ. Pour son premier anniversaire, Dragon Ball avait programmé une party qui devait se tenir dans un parc floral. Elle a été annulée et déplacée dans un entrepôt dans les quartiers sud de Marseille. La soirée gâchée a fait monter la colère des raveurs. La chasse aux sorcières des années 2000 commence.

« Les soirées sont devenues plus glauques et s’organisaient à l’arrache. Des dealers et des racailles ont commencé à les fréquenter. Souvent, on n’était pas payé, j’avais 30 balais »

Les compétitions entre patrons de boites et organisateurs de raves grandissent. La techno est associée à la drogue. Les soirées sont impossibles à organiser légalement, la préfecture refuse systématiquement les autorisations. La répression contre la techno est lancée. P. Moore raconte une soirée où il jouait du côté de Nantes. Il s’est retrouvé encerclé par 100 flics aux allures de robocops, à qui on avait ordonné de charger dès l’ouverture des portes.

« Une circulaire du ministère tournait sur comment intervenir en rave party. Elle stipulait notamment qu’il ne fallait pas toucher le public des raves, c’était surréaliste »

Les foudres des raveurs se déchaînent quand en 1996, le maire de Lyon, Raymond Barre, retire l’autorisation d’ouverture tardive de la soirée Polaris. Les raveurs se voient contraints d’arrêter la soirée à minuit, heure habituelle du début de la fête. Les organisateurs l’ayant appris la veille, ont annulé les artistes dans la mesure du possible, mais ça leur a tout de même coûté bonbon. C’était un 24 février, le public était déterminé à écouter les DJs en vogue de l’époque comme Carl Cox et Prodigy. Initialement prévue à la Halle Tony Garnier, la soirée Polaris est devenue mythique par l’ampleur qu’elle a prise. De ce mouvement spontané est née l’association Technopol, créée pour défendre et promouvoir la musique électronique. Symboliquement, ils ont mis en place la Techno Parade.

Quelques mois plus tard, une autre soirée spontanée est mise en mise en place. P. Moore avait entre autres programmé Daft Punk, à une époque où ils jouaient encore sans les masques. Les orgas ont édité quatre faux flyers pour que la soirée se fasse dans un cinquième lieu. Un jeu de piste pour embrouiller les autorités qui s’en sont rendu compte bien trop tard pour faire capoter la soirée. Les gens sont entrés par un petit portail et non par l’entrée officielle pour ne pas se faire griller. Les équipes de France 2 ont couvert l’événement et « Ça Se Discute » – émission populaire animée par Jean-Luc Delarue – a invité la scène techno française, bien en rogne, pour en parler. 

 

En 2003, les courants politiques tournent, Gérard Collomb débarque en terre aride et inhospitalière. Le maire socialiste veut renforcer la politique culturelle de Lyon et la rendre digne d’une métropole centrale. Il brise la glace, le débat reprend de bon train entre techno lovers et politiques. Des activistes qui ont bien connus cette période de résistance montent Nuits Sonores. À coup de travail intense, ils débarquent au bon endroit au bon moment. Nuits Sonores, c’est une idée qui découle clairement de la chasse aux sorcières des années 2000.

La première édition fut un succès. Cette année, l’association lyonnaise fête sa 15ème édition. Une belle revanche du public qui a connu ces années noires. P. Moore a travaillé à l’origine du projet, il a rejoint la « garde rapprochée » de Vincent Carry, avec une vraie envie de sortir les idées des cartons. Son rôle a été de fédérer la scène locale autour de projets gratuits – avec les apéros sonores, les siestes sonores, le circuit électronique – des projets présents dès la première édition, qui sont encore aujourd’hui l’âme du festival. Rapidement, il délègue ces responsabilités et se consacre à la régie générale et la production.

« C’est le phœnix qui renaît de ses cendres »

Nuits blanches et sueurs froides, P. Moore avoue que l’organisation d’un tel festival est complexe. Son investissement a été entier et pas anodin mais aujourd’hui il a besoin de recul et de repos. Il lâche Nuits Sonores il y a deux ans et reprend sa carrière de DJ. 15 ans plus tard. Il sent que la culture électronique est en pleine effervescence. Le contexte est parfait pour se remettre en scène, comme lors de son passage au Sucre en 2014 à une Boiler Room aux côtés de Laurent Garnier. Le 27 janvier le Terminal organise une Cosmic Wave, avec P. Moore (plusieurs dates sont à venir, guettez les réseaux sociaux).

P. Moore en est convaincu ; la musique électronique ne cessera d’innover. Pour lui le courant est universel et intemporel, il n’y a pas d’essoufflement. Il attend avec impatience la prochaine révolution culturelle et musicale.

C.F

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