Mousseline neuve pour le Comptoir des Fées
Un samedi fin d’après-midi du mois de décembre, après une longue session shopping de Noël entre les Terreaux et Perrache, il me faut retrouver l’énergie avec goûter gourmand. Une amie m’emmène rue de la Charité, au Comptoir des Fées. Évidemment, c’est blindé, et impossible de savoir quand une table sera disponible. Déçues et prêtes à partir, nous engageons naturellement une discussion passionnée « pro thé » avec Élise, sur le pas de la porte (une des associée/employée, à ce moment-là, je ne sais pas trop). Elle explique que la boutique change de nom et que nous serions les bienvenus au petit dej’ organisé le mardi suivant en l’honneur de cette nouvelle identité. Coup de chance, pendant la discussion, une table de deux se libère : le goûter peut commencer. Je craque sur le No Glu, un gâteau au chocolat sans farine, avec du chocolat, beaucoup de chocolat et des noix de pécan moulues. Nous passons un moment extra : les thés et pâtisseries sont à tomber. Conquis par la sympathie et la qualité de l’endroit, nous décidons de lancer un clin d’œil.
On prend les mêmes et on recommence : le Comptoir des Fées fait « mousseline neuve ». Le salon de thé installé rue de la Charité change d’identité et devient les Artisans du Thé. Ouvert en 2013 par deux amoureux, Mikaël et Lætitia, le salon amateur passe un cap et devient incollable sur le thé, ses origines et sa production. Le couple s’adjoint des services d’Élise, elle aussi une folle amoureuse de cette boisson chaude. En théière et en vrac, ici le thé se consomme comme un doux art de vivre. L’objectif étant à terme de tisser des liens avec des producteurs étrangers pour créer leur propre marque de thé.
Blanc, vert, noir ou rouge, nature ou épicé …. si ces quelques mots embaument vos narines et tapissent vos papilles, c’est certainement que vous avez reconnu la sensation douce d’un thé dans la bouche. A la traîne derrière les Asiatiques, les Français ont tout de même boosté leur consommation de thé. L’image de la vieille lady anglaise à l’eau chaude disparaît et laisse place à une gigantesque palette aromatique. Élise, à fond dans le thé depuis des années, commence par dénouer le sujet principal : celui du thé en vrac et celui en mousseline (un sachet de thé, en coton très fin généralement).
« Comme tous les consommateurs, on commence avec du thé Lipton. Puis on se rend compte que c’est une imposture ! (rires) Après on se dirige sur du thé nature et le retour aux thés parfumés est impossible. Le thé nature est le seul à pouvoir produire une émotion. »
Élise est partie au Japon pendant deux mois cet été pour se plonger dans la culture des thés. Même si elle débarque déjà bien armée sur le sujet, elle se sent tout de même un peu ignorante face à la culture ultra-développée des thés au Japon. Les japonnais boivent du thé comme une évidence, c’est la quintessence. Les six couleurs de thé sont présentes – rouge/ noir – les thés Chinois (pu-erh) – blanc – vert et les thés bleu/vert (Oolongs). Elle explique que les moines en consomment régulièrement pour rester éveillés pendant les longues séances de méditation. Principale différence avec le café, qui lui donne un coup de fouet instantané. « Le thé comme le yin et le café comme le yang », explique Élise.
« Au Japon, on se sent comme un éléphant, comme un viking lorsque l’on débarque. Alors on se dégrossit, on apprend à écouter, à être plus calme et à contempler. »
Les cérémonies du thé accompagnent des moments particuliers, comme des rites initiatiques ou des moments forts de la vie. Elles se déroulent dans un pavillon ou dans une pièce épurée, codifiée pour ça. Tous les gestes sont calculés, rien n’est laissé au hasard. Les initiés partagent un bol de matcha – un thé en poudre à remuer. Le respect règne, comme dans un temple. Les maîtres du thé tiennent le rôle de nos sommeliers en France. Ils prennent soin de leurs hôtes, colorent l’ambiance. C’est eux qui choisissent tous les éléments présents dans la pièce. Élise décrit ce moment spécial comme un art des relations. Tout est calme, hors du temps et hors du monde. C’est presque méditatif. Les préoccupations de la vie quotidienne disparaissent. Le cadre permet que la pensée se plonge pleinement dans le moment présent, de se concentrer un maximum sur les qualités intérieures avec de l’écoute, du respect et de la bienveillance. Élise aura eu la chance de partager un bol de thé en jade, fait main, vieux de deux-cents ou trois-cents ans. À ce moment-là, elle pense surtout à ne pas faire tomber le bol.
« Quand quelqu’un qui ne vous connaît pas vous sert un bol de cette valeur, c’est qu’il nous fait confiance et qu’il est heureux de vous recevoir. »
Elle aimerait repartir au Japon au mois de mars au moment des récoltes pour rencontrer des producteurs. La principale difficulté étant de trouver des contacts sur place. Il faut prendre du temps pour connaitre les producteurs, faire beaucoup de route pour trouver ceux d’un maximum de trois hectares, sans machine et qui fonctionnent au rythme des saisons. La langue complique les rapports, difficile de la lire ou de la parler. Les Artisans du Thé sont à la recherche de terrains ambitieux, ceux qui changent de la Chine et de l’Inde – les leaders en production de thé. La Nouvelle-Zélande ou Taïwan cultivent une production intéressante, comme du thé bleu-vert, fruité boisé, et même lacté.
En ce qui concerne la carte du salon, Mikaël et Lætitia proposent des produits qui leur ressemblent. Ils ont alors viré le coca et autres sodas de leur établissement et proposent de la limonade bio, du cola bio et des bière bio, des brunchs à thème, des jus de fruits artisanaux et des cafés sélectionnés chez un torréfacteur lyonnais (des arabicas et autres mélanges d’origines pures d’Ethiopie et de Malabar). Presque tout est fait maison. Cet été pendant la fermeture annuelle d’août, le comptoir a été entièrement refait en bois de pin brut, spécialement aménagé pour présenter les boites de thé. Les Artisans du Thé jouent aussi un rôle d’intermédiaire et créé des cartes spécifiques à l’image des lieux qui le leur demandent. Récemment, ils viennent de préparer une carte pour La Taverne Gutenberg.
« On adore manger, on privilégie le bio. Tous les produits que l’on consomme se retrouvent dans notre salon. Il faut que notre travail soit cohérent avec notre mode de vie. »
Nous avons demandé quelques conseils de consommation à Mikael, Lætitia et Élise.
– Ils préconisent le thé vert pour le matin : fort en vitamine C, il donne le coup de pep’s nécessaire pour démarrer du bon pied.
– Pour le reste de la journée, continuez avec du thé bleu-vert, faible en théine. Il aide à se détendre et à se sentir plus zen.
– Le blanc est le plus naturel et le moins transformé. C’est celui qui apaise le feu et désaltère le plus. Il est conseillé après le sport. Les Chinois l’appellent le thé de la canicule ou le thé Zazen.
C.F