Sameer Ahmad et Zek – G’s de Luxxxe

La famille, on se dit tu, on se dit tout, il y a dans l’équipe des jeunes mais aussi des moins jeunes. L’auteur de ces lignes se trouve dans la seconde catégorie. « Qu’est-ce que tu croivais ? » Par conséquent, quand il s’agit de rap, on recherche plus le propos et le talent de rimeur, que « des sons qui te donnent envie de serrer ta zinecou ou de faire la fête au village » comme dirait l’autre. Pour te dire, dans mon wrapped spotifail, mon top 5 c’est Isha, Limsa, Okis, Infinit et Roc Marciano.

‘Du jazz de G’s, c’est ce que font les grands’   S.A.

L’intro en mode vieux con, c’est fait. Passons au véritable propos. Deux EPs viennent de sortir et méritaient clairement qu’on en parle ici : Ras El Hanout de Sameer Ahmad et Mani Deiz et Localisable de Zek. Si le rapprochement entre ces deux projets se fait d’abord par la qualité du travail et par la collaboration entre les deux (le soyeux Le Peignoir), il se fait aussi par les trajectoires des deux bougs. Presqu’inversées, finalement. Un Sameer qui, après avoir fait du rap comme le plus sérieux des hobbies pendant de longues années, devient rappeur professionnel à 40 balais. Un Zek qui, après plusieurs albums chez Néochrome, revient 8 ans après sa dernière sortie, presque sur la pointe des pieds serait-on tenté de dire. Mais genre des pompes de sécu taille 47, si vous voyez le tableau.

Commençons par le disque de l’irako-montpellierain. Entièrement produite par Mani Deiz (une connexion via Okis?), cette collaboration entre les deux apparaît comme une évidence. Amateur d’instrumentaux chaleureux et organiques depuis le début, Ahmadeus ne pouvait que s’épanouir dans l’écrin concocté par Mani. Les samples de rhodes côtoient les basses rondes et les drums légères dans des prods lumineuses qui matchent parfaitement avec le rap faussement nonchalant de Sameer.

‘Et ceux qui se pavanent en balançant que le rap n’est qu’un truc de jeunes ont perdu leur âme d’enfant’   S.A.

On retrouve bien entendu son sens de la formule, son flow aéré et on le découvre même dans un registre quasi-solaarien sur quelques titres (avec des dédicaces appuyées à ce bon vieux Claude). Les références arrivent en cascade et on a toujours de quoi googler, sans pour autant se sentir humilié par un gars qui se la raclerait bien trop. Puis si ça permet de se faire offrir des bouquins de Lester Bangs à Noël, tout le monde est gagnant. Cet EP passe comme une balade en skate sous un soleil de fin de journée : bercé par le bruit des roulements, on s’amuse à lâcher deux trois tricks quand le mobilier urbain nous y oblige.

Pour ce qui est de l’essono-cap-verdien, on est tellement heureux qu’il ait arrêté d’arrêter. « J’allais quand même pas être le dernier fou à ne pas croire en moi ». On savait le talent dormant à deux doigts de se réveiller (notamment les Grunt, quand « tout Paname a bandé ») mais quand est-ce que tout ceci allait se matérialiser? Avec ce Localisable, sur lequel il produit 5 des 6 titres, ce bon vieux Kevin nous revient plus chaud que jamais. Sur une palette sonore plus large (mais toujours en faisant un usage parfait des samples), il nous sert sa vie de daron, sa vision du rap, son 91, sa culture, le tout servi par un humour toujours aussi implacable. Ce petit sourire en coin, cette autodérision, c’est aussi ça qui fait la force de Zek.

‘Le seul Loto qui rendra ton poto richissime, c’est l’auto-discipline’   Z.

Il sera difficile de sortir des titres du lot car il n’y a bien entendu rien à jeter. Comme quelques rappeurs expérimentés, le boug est tous terrain : que ce soit sur des bangers comme Localisable (Jésus Marie Joseph la prod), des morceaux plus posés voire drumless type Esprit Cosy ou A Propos, même des boom-baps crasseux et qui tapent fort comme Le Manuel, M. Ramos découpe de manière déconcertante. Rimes luxxxueuses toujours, flow vénères ou petites mélodies vocales sans fioritures… Je veux dire, qui d’autre pouvait reprendre celle de Simple et Funky en mode crooner désabusé sans passer pour un tocard ? Alors oui bien sûr, six titres c’est bien trop court pour un gars que tu as attendu 8 ans. Mais quand c’est mieux foutu que 90% de ce qui sort, tu te plaindras quand tu pourras rapper tous les couplet par cœur.

‘J’ai mis du YSL au placard comme la loi RICO’   Z.

C’est un tel plaisir de voir des darons prendre leur pied sur cette musique et kiffer cette discipline comme à leur premier jour. Peut-être même plus. De les voir saisir à deux mains cette liberté chérie, d’être sérieux dans leur jem’enfoutisme (des conventions, du milieu, de ce que leurs auditeurs attendent ou non). Le faire pour soi et kiffer reste encore la meilleure recette pour faire de la bonne musique et ces deux projets en sont une preuve de plus. Pour finir, on soulignera aussi le soin apporté à la qualité des artworks : que ce soit celui du Sameer en mode city pop japonnaise (signé Romain Telexea) ou le somptueux boulot de Sebastien Le Gall sur les VHS de Zek, ces visuels en font de très beaux objets que vous pouvez commander respectivement par ici et par là.

‘J’ai le smile, quand tu m’demandes pourquoi j’ai le smile’   Z.