Vincent Ahehehinnou
Best Woman

Comme chaque année, le label de rééditions Analog Africa nous a bien gâtés avec de nombreuses sorties. Du Cameroun au Benin en passant par le Zimbabwé, on a vu du pays. Et ces disques, aux artworks soignés, sont toujours agrémentés de livrets remplis de longues notes et de photos d’époque. Ces entretiens et anecdotes illustrés donnent corps aux histoires oubliées de ces musiciens et prouvent, une fois de plus, que la musique au format digitale n’a pas encore trouvé la formule parfaite. Nous nous permettons ici de raconter l’histoire du fabuleux album Best Woman de Vincent Ahehehinnou.

 

 

Vincent Ahehehinnou était chanteur au sein du très célèbre Orchestre Poly-Rithmo de Cotonou. Après douze années entre disques à succès et tournées triomphales, il quitte le groupe le 28 mai 1978 après des désaccords avec le « propriétaire » du groupe, Adissa Seidou. Ce dernier voulait mettre en retrait le regretté Mélomé Clément (fondateur du groupe) pour asseoir sa mainmise sur Poly-Rythmo. Vincent, qui s’était élevé contre ces manœuvres, avait reçu des menaces de mort d’Adissa, rites vaudous à l’appui.

Devenu par la suite commercial et voyageant dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, il garde sa carrière solo en tête et continue à composer et écrire des chansons. Cherchant le groupe qui pourrait le seconder pour son disque, il choisit le Black Santiago (un des groupes phares de l’époque) et tombe d’accord avec son leader et trompettiste Ignace de Souza lors d’un voyage à Lagos.

 

 

La première chanson qu’il compose est la somptueuse Best Woman, en hommage à une très bonne amie partie étudier à Londres. Raison pour laquelle la chanson est en anglais (« je n’ai pas eu besoin d’apprendre l’anglais pour cette chanson, les paroles sont tellement simples que mon niveau d’école élémentaire était suffisant »). Le reste du disque sera ainsi un hommage à l’amour, la vie et aux enfants.

Quelques mois plus tard, après avoir peaufiner ses chansons, Vincent part avec toutes ses économies dans les poches pour payer l’enregistrement du disque mais aussi pour acheter du matériel électronique à Lagos, qu’il prévoit de revendre à son retour à Cotonou. Un voyage qui ne se fait pas sans encombre. Arrivé à la frontière avec le Nigéria, son bus est arrêté par des militaires et Vincent doit descendre avec d’autres passagers. Certain que sa grosse liasse de billets fera un butin de choix pour les soldats, il la jette en partant sur les genoux d’une inconnue.

 

 

Après avoir été fouillé, il est laissé sur le bord de la route, sans un sou en poche. Le bus est déjà loin. Complètement désemparé, « l’esprit vide », il décide de marcher jusqu’à trouver quelqu’un qui voudra bien l’emmener à Lagos. Au bout de deux heures de marche sous une chaleur étouffante, sa vision lui joue des tours et il croie apercevoir la jeune femme du bus sur le bord de la route… Miracle, c’est bien elle qui l’attend patiemment. Après l’avoir chaleureusement remerciée et payé un taxi jusque chez elle, Vincent se jure qu’après cet enregistrement, il ne mettra plus les pieds au Nigéria. Promesse qu’il tiendra toute sa vie.

Parfaitement arrangé par de Souza et enregistré au légendaire studio Decca, le disque est bien reçu et aide à la reconnaissance de Vincent en tant qu’artiste solo. Il remporta même dans la foulée un concours de chant qui se tint au Palais des Congrès de Cotonou (avec du beau monde comme Angélique Kidjo ou Gnonnas Pedro).

 

 

La carrière solo de Vincent continue tranquillement. Jusqu’à un beau jour de 2009 où son téléphone sonne. La voie de Mélomé Clément sort du combiné pour lui demander s’il accepterait rejoindre le Poly-Rythmo pour une aventure européenne. Pendant plus de trente ans, Vincent a toujours gardé dans son cœur et son âme le Poly-Ryhtmo, espérant secrètement le réintégrer un jour. Il avait également toujours rêvé de voir l’Europe. En un coup de fil, ses deux rêves devinrent réalité.