Theo Charaf – Voix Ferreuse

Voici un disque qui pourrait bien vous remuer les tripes. C’est pas tous les quatre matins qu’on fait ce genre d’affirmations mais il faut bien avouer que le croix-roussien Théo Charaf a fait de son premier coup en solo un coup de maître. Habitué des groupes à décibels élevés (Barneurs, Beaten Brats, Scaners), il nous sert ici dix chansons naviguant entre blues et folk, seul avec sa guitare. A la fin de ses 35 minutes de voyage intérieur, on est bien tenté d’envoyer un mot de remerciement à Jean-Luc Navette qui a semble-t-il poussé son cadet à concrétiser ses maquettes pour en faire un véritable disque. Car tout ça est franchement très beau.

Ce Théo Charaf (car c’est aussi le nom du disque) n’est pas de ces disques de folk à écouter tout doucement au coin du feu en lisant un livre avec une tisane. Enfin pourquoi pas, vous faîtes ce que vous voulez après tout. Mais il réside dans certains titres un telle énergie et une telle force que mettre le volume à fond semble la seule marche à suivre. Car c’est un disque qui transpire, qui suinte, qui grince, qui souffre… Ça sent le cuir tanné, le bois mouillé, le métal rouillé… On y distingue en toile de fonds des plaies encore ouvertes et des cicatrices qui peuvent vous emporter comme une lame de fond quand vous pensiez le mal parti depuis longtemps.

Les deux reprises de Skip James sont à de ce point de vue là des morceaux de bravoure. Sa relecture d’Hard Time Killing Floor est une vraie panenka : habitué à la version à la guitare sèche du bluesman à la voix suraiguë, il nous prend totalement à contrepied avec son timbre caverneux et sa gratte pleine d’écho. C’est d’ailleurs ce titre qui clôture le disque et il faut avouer que c’est un choix parfait. Il nous laisse pantois, comme hébété face à cette voie ferrée qui semble sans fin dessinée par Jean-Luc Navette.

Enregistré sur des micros datant d’il y a quasi un siècle, ces dix chansons transpirent l’authenticité. Et sans un travail d’orfèvre sur le son, sans doute serait-on passer à côté de quelque chose. C’est aussi ça, ajouté au talent de composition de Charaf, qui fait qu’il nous est impossible de distinguer les fraîches compositions de ce dernier et les reprises. A part peut-être sur les deux chansons de Skip James, dont le blues dénote légèrement et semble faire ressortir le meilleur, le suc, le nectar du talent du lyonnais.

Tout à l’heure, lançant la lecture du disque, un pote me pose une question quelques secondes à peine après le début du titre d’ouverture, Vampire : « C’est Johnny Cash ? » Non mon pote, c’est un petit croix-roussien de même pas 30 berges. Et même si on n’est pas des connaisseurs de cette musique, même si on n’aime pas les comparaisons hâtives, il y a une chose dont on est sûr : Théo Charaf vient de nous pondre un putain de bon disque. On ne peut que lui souhaiter le meilleur pour la suite, qui se reposera sûrement sur le solide équilibre entre punk à plusieurs et folk en solo. Nous, en attendant, on continue de marcher le long de cette voie ferrée avec notre sac sur le dos. Et même s’il se met à flotter ou à neiger, balec mec, on a ce qu’il faut dans les oreilles.