The Doppelgangaz
Rois du Boom-Bap 2.0

New-York a longtemps dominé le rap en représentant le style de la East Coast: des productions boom-bap sombres, des samples de soul/jazz et des rappeurs rivalisant de technique. Aujourd’hui, malgré les Underachievers, Flatbush Zombies, Pro Era, Dave East et autres, la ville n’est plus le porte-étendard du rap. Même les sonorités estampillées East Coast y sont de moins en moins perceptibles, du fait de l’influence d’Atlanta, Chicago voire LA en termes d’instrumentales et de flows. Finalement, est-ce que la capitale de la East ne se serait pas déplacée dans le comté d’Orange (Etat de New-York), fief des Doppelgangaz ? Remplacez les gratte-ciels par des arbres, le bitume par de l’herbe et divisez la population par trente. Vous y êtes.

Amis d’enfance, Matter Ov Fact et EP lâchent leurs premiers flows à 11/12 ans et forment leur groupe en 2008. Trois ans plus tard, ils se font remarquer avec l’album Lone Sharks dans lequel ils construisent leur mythe : le black coack lifestyle. Vêtus de capes noires (qu’ils ne nommeront pas « cape », pour se différencier des super-héros), ils fouillent les poubelles, errent complètement saouls, vont dans des bordels et s’affichent à côté d’une poupée barbie car ils n’ont « pas trouvé de filles assez jolies [à] mettre dans [leurs] clips ». Il n’en fallait pas plus pour que le duo réunisse une communauté de fidèles « requins » autour de lui.

Malgré le style de vie qu’ils dépeignent, entre fantasme et réalité, les « jumeaux » (doppelgangers) sont des travailleurs acharnés. Ils font tout eux-mêmes : de la production instrumentale au mastering en passant par la réalisation des clips – et même les produits dérivés. Avec une dizaine de projets à leurs actifs, parmi lesquels des beat tapes, le groupe n’a eu de cesse de se perfectionner pour proposer un son original et maîtrisé, une sorte de boom-bap 2.0. Ils l’ont hérité de la East, mais aussi de leurs influences qui ne sont autres que la musique, tout simplement.

Pour enrichir leur dernier album, Dopp Hopp, le duo n’hésite pas à aller piocher des éléments dans la West-coast, avec le très efficace Roll Flee, et même la trap – dans l’utilisation des drums. Leur musique possède un grain particulier, semblable à celui des vieux vinyles. Il est appuyé par l’utilisation de samples et l’effet de distorsion appliqué à leurs voix, rendant leur son unique. Les lignes de basses apportent du groove et, mêlées à des beats réglés pour claquer, rendent le hochement de tête imparable. Bien sûr, le duo gère la production, mais n’est pas en reste quand il s’agit de kicker. Il déploie des flows techniques sur des shémas de rimes complexes. Quant à la qualité des textes – que j’ai moi-même du mal à saisir, la faute à mon anglais très approximatif – elle est reconnue pour leur originalité, leur efficacité et surtout leur humour : « I told her thanks for the mammaries, I mean the memories ». (Matter ov Fact – Beak Wet)

The Doppelgangaz proposent une imagerie simple, loin des codes traditionnels. Ils sont souvent seuls ou alors accompagnés du fameux Big Josh, le troisième membre officieux. Leurs clips se déroulent généralement dans leur comté natal, près d’une maison abandonnée, d’un champ ou d’un lac. Et quand il ne met pas sa musique en image, le duo alimente sa chaîne Youtube avec des vidéos sur leur black coack lifestyle (le vrai). Ils réalisent même des tutos pour apprendre à reproduire l’effet de distorsion sur la voix.

Bien que le nombre de personnes qui les suivent et de vues Youtube ne soient pas mirobolants au vu des standards actuels, The Doppelgangaz disposent d’une solide communauté, notamment en Europe. En témoigne leur dernier passage à Lyon, devant une foule d’adeptes. Accessibles, ils ont rappé et dansé au milieu de leur public et la péniche de la Marquise n’a cessé de tanguer durant le show. The Doppelgangaz ont beau flirter avec le second degré, on ne peut que les prendre au sérieux. Le plus dingue dans tout ça, c’est qu’ils reviennent à Lyon le dimanche 18 mars pour faire couler la Marquise et nourrir les requins (bien accompagné par le talentueux Vax-1). Autant dire qu’il faudra s’économiser le week-end, afin d’être à la hauteur de leur performance qui s’annonce mémorable.