Rencontre avec :
DJ AK

C’est un lundi soir, dix jours avant son concert avec Big Syke et WC, tout ce qu’il y a de plus normal qu’on a donné rendez-vous à DJ AK, producteur lyonnais de rap West Coast, et Rui, son pote et associé de Gangsta Zone Records. L’artiste et le businessman, la timidité et la gouaille, deux mecs aussi différents que complémentaires. Une fois avalée l’assiette de charcute, on s’éloigne des cours de salsa pour aller tailler le bout de gras dans un coin qui ne restera pas longtemps silencieux. Une discussion qui nous mènera du Chili au Japon, en passant par L.A. et Lyon bien sûr. Sur son parcours, on croisera Big Syke, Knoc Turn’al, Mr Criminal et bien d’autres… Le tout avec une étonnante simplicité et quelques anecdotes croustillantes.

Paperboys : Il me semble que tu as commencé par être DJ, c’est bien ça ?

DJ AK : Je récupère grâce à mon entourage des platines vinyles, une table de mixage et j’ai commencé par le scratch. Et au fil du temps, je trainais dans les magasins de disques, je cherchais plein de trucs. A l’époque j’étais plus rap français. C’était l’époque de L’Ecole du Micro d’Argent, c’est surtout cet album qui m’a marqué en fait. Jusqu’au moment où j’ai découvert les vinyles de Snoop, Tupac, etc… J’ai découvert le label Death Row et c’est là où je me suis mis à fond là-dedans. J’étais en BTS à l’époque, j’allais squatter les bacs à ma pause, entre midi et deux. J’allais pas mal à Planet Saturn. Y’avait un sacré bac de vinyles et tu pouvais écouter les disques sur place. Au bout d’un moment ils ont arrêté ça devenait un peu l’orgie comme tu peux imaginer.

 

P : La g-funk, ce ne sont pas les sonorités qui plaisent le plus en France à l’époque.

AK : Oui c’est clair que j’étais vraiment déconnecté. Je faisais des soirées DJ, tout le monde était NY, NY, NY et y’a que moi qui faisait le DJ West Coast. D’un côté c’était un inconvénient parce que j’étais isolé mais de l’autre c’était un avantage car le public de Lyon a toujours été très funk et g-funk et kiffait bien ce que je faisais.

 

P : Tu organisais des soirées ?

AK : J’avais organisé déjà une ou deux soirées dans des petits bars lyonnais et ça s’est toujours bien passé. Pour du public west, qui était demandeur parce qu’à l’époque les DJs mixaient soit du son de NY, soit du r’n’b. Et du coup moi j’arrivais avec mon set funk/g-funk, ça plaisait.

 

Moi j’ai tout de suite pris un ordinateur et des claviers. Je me rappelle quand j’allais dans les magasins de musique les mecs te disaient : « Il te faut une MPC ». Je leur répondais que ça allait me servir à rien !

 

P : A quel moment tu sautes le pas et tu décides de te mettre à produire ?

AK : En fait je me suis vite trouvé limité, frustré à faire le DJ et du coup j’ai cherché à faire des sons. Même déjà avant quand j’écoutais déjà IAM j’avais déjà envie de produire des trucs. D’ailleurs je me rappelle Akhenaton avait monté un site où il mettait à disposition des a capelas pour que les gens fassent des remixes. Chaque semaine ou chaque mois, je ne sais plus, il mettait en avant celui qu’il préférait. Et donc j’en avais fait un qu’il avait mis sur le site, je me rappelle même plus ce que c’était.

 

P : Tu ne l’as pas gardé ?

AK : Le truc c’est qu’à chaque fois que tu changes d’ordinateur, tu perds des trucs… Puis même, parfois tu réécoutes des trucs… tu as honte ! Y’a des trucs que t’as plus envie d’entendre ! D’ailleurs, si ça se trouve il y a des gens qui ont des trucs que même moi je n’ai pas.

 

P : Et tu avais quel matos pour la production à l’époque?

AK : C’est encore un autre truc où j’ai tout le temps été à part. Avant les producteurs qui faisaient du rap, c’était la MPC, tout le monde avait la MPC. Moi j’ai tout de suite pris un ordinateur et des claviers. Je me rappelle quand j’allais dans les magasins de musique les mecs te disaient : « Il te faut une MPC ». Je leur répondais que ça allait me servir à rien !

P : Du coup tu as directement pris la direction de la composition, sans utiliser le sampling ?

AK : Je n’ai jamais aimé les samples. Déjà, je trouve que c’est un peu de l’arnaque, dans le sens où le producteur s’approprie tous les mérites d’une zic qui n’est pas à lui. Moi c’est une feuille blanche, je fais tout de a à z. Mais c’est surtout que chaque fois que j’ai essayé de faire un truc avec un sample, j’étais limité, si t’as envie de dériver sur autre chose, t’es bloqué sur ton sample en fait. Du coup je préfère la feuille blanche.

 

P : En plus c’était plus en lien avec la g-funk où il y a plus de composition…

AK : Ce qui m’a plus dans la West comparé à l’East Coast où c’était plus sample, minimalisme… Alors que dans la g-funk je trouvais qu’il y avait plus de mélodies, d’arrangements, de recherche… même s’il y a aussi  énormément de reprise de funk ou de soul dans la g-funk.

 

P : Quel est ton premier projet ?

AK : J’ai commencé à faire des prods pour des rappeurs de Lyon. Mais j’avais toujours le même souci c’était que même les rappeurs étaient East Coast donc ce que je faisais ne leur plaisait pas. Jusqu’au jour où j’ai connecté avec des gars qui aimaient le même son que moi et donc j’ai bossé avec eux pendant plus de 10 ans. C’était Pass Pass. On a commencé par un 2 titres, puis un maxi et trois albums. Eux existaient déjà quand je les ai rencontrés. Ils avaient fait un titre à l’époque, « Je danse comme une caillera », qui avait bien marché à Lyon. C’était sur une instru de funk. Et donc après je rentre comme producteur attitré, j’ai produit tous les sons.

Rui : Et il produisait, il masterisait, il mixait, il démarchait…

 

P : Le succès était seulement local ou vous avez eu l’occasion de tourner aussi ?

AK : Ils avaient déjà leur notoriété locale, ça a commencé à grossir, jusqu’à avoir des commandes de CDs venant du Japon. Parce que les Japonais sont fans de la talkbox, du g-funk aussi et ils sont à fond dedans. Quand ils aiment quelque chose, ils vont chercher le truc le plus rare. Et donc ça commence avec « Tha French Lokos ».

R : On a eu la chance de rencontrer un lyonnais qui connait le Japon comme sa poche, qui parle le japonais et qui faisait l’intermédiaire avec les boutiques là-bas.

AK : Même si on avait déjà des commandes de particuliers avant ça.

 

P : Au fait, comment vous êtes-vous rencontrés ?

AK : A l’époque, avec Pass Pass, on est West Coast donc notre rêve c’est de partir en Californie. Donc on part et là-bas on avait deux, trois contacts, c’était à l’époque de Myspace. On tombe sur un mec qui a un label de Chicano rap. Il écoute notre album et il nous dit : « Mais, vous êtes de Lyon, y’avait un gars chez moi la semaine dernière, c’est un lyonnais, Gangsta Zone, il nous achète des CDs ». Rui en fait allait aux US pour acheter des CDs et les revendre.

R : De 1999 à 2007, si t’avais un cd de West Coast acheté en Rhône-Alpes, il y avait de grandes chances que ça soit moi. J’avais un rayon de 5 mètres dans une grande enseigne à Bellecour. J’étais à Paris aussi, Bastille, Champs-Elysées, Grenoble, Marseille, Nice. Mais moins qu’à Lyon. Avant j’avais un magasin de musique avec des gars de St-Priest par le biais duquel j’étais déjà en contact avec cette enseigne. Vu qu’on vendait moins avec le magasin, je me suis dit « j’ai les contacts, j’ai qu’à choper les Cds et les revendre après, ça évite le loyer, les charges, etc… »

AK : Et donc je rencontre Rui, lyonnais comme moi, par l’intermédiaire d’un gars de L.A. !

P : Rui, toi tu t’occupes du côté business ?

R : Tout à fait. Quand j’arrive, je regarde un peu la situation du groupe et je vois que ce n’est pas très structuré. J’essaye d’apporter ce que je sais faire, mon réseau.

 

P : A quel moment se font les premiers feat ricains ?

AK : Déjà lors de notre premier voyage, on était venu avec un album et on avait chopé par Myspace quelques feats américains. Mais ça s’est vraiment concrétiser avec Rui, qui avait le réseau puisqu’il chopait les CDs. Par exemple Foesum, ça s’est fait comme ça. Sur l’album Street Bounce, celui pour lequel on est parti aux States, il y avait Jayo Felony, Big Prodeje et des mexicains.

R : Et du coup avec les thunes de cet album, vu qu’on avait les contacts, on a lancé de projet West Coast All Stars où sur chaque morceau il devait y avoir un français qui pose avec un ricain.

AK : Et ça a traîné. J’avais les instrus, Rui avait les couplets des ricains mais l’enregistrement des couplets de Pass Pass a traîné. Du coup, pendant ce temps je me suis dit que j’allais faire un album à moi, à la talk-box, dans l’esprit Zapp. C’est au moment où j’ai beaucoup de temps libre pour la musique, je suis hyper productif. Jusqu’au moment où mon solo est prêt et où le West Coast All Stars en est à zéro titre. Donc on sort mon solo.

 

A ce moment-là j’enchaînais chômage et intérim. […] J’étais sur un toit, à 10 mètres de haut, en train de changer des tuiles et j’écoutais le couplet de Big Syke sur mon portable…

 

P : Et ça se fait sans problème vis-à-vis du groupe ?

R : Au bout d’un moment si les mecs ne rappent pas… Moi je ramène les ricains, je dis à Vincent (AK), le mec est en studio, je lui ai filé la thune, il me faut une instru. Le ricain n’a pas le temps d’attendre. J’appelais parfois Vincent à 2h du mat pour des instrus.

AK : D’ailleurs ça me fait penser, pour un morceau avec Big Syke. A ce moment-là j’enchaînais chômage et intérim et je me souviens très bien, Rui m’appelle, me dit : « C’est bon j’ai le couplet de Big Syke ». J’étais sur un toit, à 10 mètres de haut, en train de changer des tuiles et j’écoutais le couplet de Big Syke sur mon portable…

 

P : Et le All Stars alors ?

R : Ça devient en partie Killaz From Tha West. Il y a quelques morceaux avec Pass Pass mais tout le reste c’est avec les ricains. Big Syke, Big Prodeje, Kokane, Mr Criminal, Knoc Turn’al, etc…

AK : C’est le projet qui a le plus vendu, notamment au Japon grâce à la talk-box. Juste après ça, on a un Japonais, qui nous achète des Cds, qui a aussi une boîte de nuit et qui nous fait venir pour une petite tournée au Japon. Donc on part, tout payé. Et on part avec Big Syke, parce qu’il fallait un ricain avec nous. Je l’avais déjà rencontré, il est cool, abordable, je savais que ça allait bien se passer. Il m’avait dit d’ailleurs : « Je vais prendre l’avion tout seul pour le Japon, vous avez intérêt à être à l’aéroport ! Déconnez pas, me laissez pas tout seul à Tokyo !»  (rires) Et on a fait quatre dates, sur une semaine.

 

P : Vraiment en mode tournée donc.

AK : Ouais surtout que là-bas tu montes sur scène à 2h du mat’.

R : Et là les mecs commencent à chanter tes zics alors qu’à Lyon tout le monde s’en bats les couilles ! (rires)

AK : Les mecs te font signer sur leurs téléphones, sur un gros blouson en cuir… J’avais pas envie de lui défoncer moi son blouson ! Mais après rapide retour sur terre à Lyon.

 

P : Elle a eu lieu quand cette tournée ?

AK : En 2009.

P : Avant tu avais fait un tour au Chili aussi.

AK : Oui avec Knoc Turn’al. A l’époque, je le contacte par Myspace et c’est son manager qui gère. Je lui parle de notre projet de partir aux States. Le mec me dit : « J’ai une maison à San Diego, je vous la loue ». Et donc on part avec Pass Pass pour cinq semaines. On arrive là-bas, le mec avait oublié de nous dire que la maison était vide, pas de meuble, rien. « Emmène-nous à Ikea ! » (rires) Ensuite, le mec nous présente à Knoc Turn’al, on va en studio avec lui, puis petit à petit le manager devient plein d’embrouilles. Il a gardé de la thune à Knoc Turn’al pour lui, etc… Donc on se casse de chez lui pour aller à L.A., chez Knoc Turn’al. Enfin chez sa belle-mère. Et on passe trois semaines sur les cinq chez lui. Un mec ultra-talentueux, qui défonçait tout en studio, mais qui a n’a pas su gérer sa carrière. Il était au top pourtant… Mais on a beaucoup rigolé avec lui, une crème. Par la suite, j’étais sur un projet avec des chiliens. Les mecs veulent organiser un concert, je leur propose Knoc Turn’al. Arrivé à l’aéroport, moi de France après 17 heures, je vois un grand black, je le reconnais à 10.000 kilomètres, il est en panique, il cherche… Ils ne voulaient pas le laisser sortir. Mais son passeport on aurait dit un rouleau de PQ ! (rires) Finalement, on arrive à négocier et la date se passe bien, même s’il y avait moins d’entrain que plus tard au Japon.

 

P : Si on revient à ton retour du Japon, c’en est où avec Pass Pass ?

AK : Pass Pass finit à ce moment-là. On se partage les morceaux, je me souviens, on a fait ça dans une caisse, sous la pluie : « J’veux celle-ci, moi j’veux celle-là », etc…

 

Il n’y a aucune fuite au Japon. Gangsta Zone Party est resté 3 mois au Japon sans rien sur le net. Je l’ai vendu à un français, c’était fini ! (Rui)

 

P : Et donc c’est à la suite de ça que vous créez Gangsta Zone Recordz ?

R : Oui, en 2009, on a sorti quatre ou cinq cds depuis.

AK : On arrive au moment, après la séparation, où on a plus trop de thunes. Il faut faire rentrer de l’argent donc on sort une compile de remixes, E sides and Unreleased, qui marche pas mal, grâce au Japon.

 

P : En fait le Japon c’est votre sponsor !

R : Oui, limite on fait les albums pour eux.

AK : Maintenant, on sort souvent les albums chez eux avant de le vendre en France parce qu’il n’y a aucune fuite au Japon.

R : Gangsta Zone Party est resté 3 mois au Japon sans rien sur le net. Je l’ai vendu à un français, c’était fini ! (rires)

 

P : Et donc cet album remet un peu d’argent dans les caisses ?

R : Un peu. On enchaîne ensuite avec International, un album avec les chiliens de Sursilvaz entre autres. Pour moi c’est notre album le plus réussi mais le fait que ça rappe en espagnol, on a moins vendu. Après on sort le solo de Big Prodeje du SCC. Lui je le connais depuis, pfff… Et comme il kiffait grave les prods de DJ AK, il accepte de faire l’album.

 

P : Et cet album se vend au States ou pas ?

R : Les Etats-Unis, ils ont lâché la g-funk.

AK : C’est la déception que j’ai eu la première fois que j’y suis allé. J’arrive là-bas c’était l’époque de Lollipop de Lil Wayne… Par contre tu pouvais choper à des moments des émissions de classiques à la radio, notamment sur KDAY. Les blacks étaient passé à autre chose, au sud, etc… Il restait juste les mexicains.

R : Toutes nos ventes aux US sont du digital quasiment. En 2005-2007, y’avait encore beaucoup de Mom and Pop stores, des petites boutiques familiales… Maintenant tout ça c’est fini. Et Internet, il y en a qui n’en ont rien à foutre parmi les artistes. Ils ont 35 balais, tu leur envoies un fichier ils te disent : « Attends j’appelle quelqu’un » ! (rires)

P : Puisqu’on est aux US, j’ai vu qu’un titre de Mr Criminal que tu as produit était à 7 Millions de vues sur Youtube (12 aujourd’hui, ndlr). Comment ça s’est passé cette collaboration ?

AK : Je le contacte par Myspace pour lui demander de rapper sur mon album solo. Il écoute ce que je fais, kiffe les prods, me dit ok mais me demande quelques instrus en échange. Moi à l’époque, je ne suis pas connu donc c’est une opportunité… Du coup j’ai placé 5 ou 6 prods dans son album!

 

P : Tu es crédité sur le disque ?

AK : Euuuuh…

R : Sentant la carotte, on avait mis les gimmicks genre « DJ AK on the track » tu vois. Vu que les mecs vont pas se faire chier à l’enlever, comme ça on sait qui a produit. En fait, les mexicains mettaient rarement qui a fait quelle prod, ils te mettaient juste dans les remerciements.

 

P : Mais au niveau légal…

AK : (il coupe) Ha non rien du tout ! J’avais lu une interview de lui où il parle de « Side 2 Side » en disant, parce que le g-funk était déjà un peu fini à l’époque, « ce que j’ai bien aimé sur la prod, c’était que c’était vraiment à l’ancienne mais neuf en même temps ». Rien que le fait que le mec parle de moi, j’étais content, c’était cool. Et ça m’a fait connaître.

 

Pour en revenir aux ricains, la stratégie était simple. Pour le faire connaître, il fallait les faire poser sur ses prods. Donc je contacte tout le monde, je casse les couilles de tout le monde. (Rui)

 

P : En essayant de trouver des infos sur toi, on a surtout l’impression que tu crées tes projets et invites des rappeurs dessus, pas trop que tu places des prods sur des albums de rappeurs, à part pour Mr Criminal. C’est le cas ?

AK : Non, j’ai placé pas mal d’autres prods. J’ai placé des prods chez d’autres gars du label Hi Power, d’autres mexicains de San Diego, sur le label Low Profile. D’ailleurs les deux labels étaient en guerre. Je me retrouve à faire des sons pour l’un, l’autre veut aussi que je fasse des sons pour lui. Hi Power me dit : « C’est pas cool ».

R : En fait c’est un peu à cause de moi qu’il a arrêté de faire des sons pour Criminal. J’ai connu Capone-E (boss de Hi Power Records, ndlr) avant de rencontrer Vincent. Et après les avoir mis en contact, Capone-E me dit : « Je ne veux pas que tu bosses avec d’autres mexicains ». Je lui dit ok, par contre le deal, c’est que tu demandes aucune autre instru à des français. On se sert la main, très bien. Il sort un album, instru d’un autre français. Et ben écoute, vu que t’as voulu me mettre une carotte, j’appelle ton pire ennemi, vu que je le connaissais bien, et on va faire un morceau avec lui.

AK : Je l’ai eu au téléphone, je lui ai dit moi, les gangs, San Diego, Los Angeles, je m’en fous. Je suis producteur, je suis dans aucun gang, je suis musicien. Tout ça fait que cette image de Chicano rap me colle beaucoup à la peau. Encore au concert de Foesum l’autre jour, on m’a demandé un morceau… Déjà le mec il croit que je suis un jukebox, que je répète pendant quatre mois tous mes morceaux…  (rires)

R : Pour en revenir aux ricains, la stratégie était simple. Pour le faire connaître, il fallait les faire poser sur ses prods. Donc je contacte tout le monde, je casse les couilles de tout le monde.

P : Oui, à part Dre et Snoop, il reste plus grand monde de la West qui n’a pas bossé avec vous!

R : Il en reste deux, trois… Ice Cube. Mais ça coûte cher… Et vu qu’on ne peut pas lui apporter grand-chose à notre niveau, qu’il n’a pas grand-chose à gagner en bossant avec nous, c’est difficile de négocier. A moins de lui trouver un concert à 50.000 €, là il poserait gratuit…

 

P : En parlant de légende de la West, vous connaissez bien Big Syke aussi ?

R : Oui oui ! Il a squatté chez AK, il est même allé chez Ikea avec lui ! (rires)

 

P : Quoi ?!

AK : Je venais d’emménager dans ma maison, je n’avais pas de canapé. Le lendemain de son arrivée on a du allé chez Ikea ! On est même allé faire les courses à Auchan ! (rires) La plupart de ces mecs-là sont super simples même si y’a quelques princesses.

 

Les mecs viennent du ghetto, ils ne savent pas gérer l’argent. Surtout que ce sont de grosses sommes qui arrivent de manière ponctuelle.

 

P : Des noms !

AK : Hum, ce n’est pas trop mon genre. Je préfère te dire les mecs qui sont cools plutôt.

R : Kurupt est super cool. Quand je lui avais filé l’argent pour un feat, il me dit limite « Bah viens on va le claquer ensemble ! » (rires)

AK : C’est ce que les gens n’arrivent pas à comprendre, au niveau de l’argent. Les mecs viennent du ghetto, ils ne savent pas gérer l’argent. Surtout que ce sont de grosses sommes qui arrivent de manière ponctuelle.

R : Et puis ils ont 12 enfants chacun ! « Ouais, j’ai des enfants à nourrir », ils arrêtent pas de te parler de child support. D’ailleurs c’est pour ça parfois qu’ils ont des problèmes d’avion, parce qu’ils n’ont pas payé les pensions.

AK : Et puis même s’il y a de l’argent, les mecs vont vivre n’importe comment, dormir à droite à gauche, sur un canap’, par terre sur la moquette. Big Syke était venu chez moi. On l’avait reçu super bien. Le mec en a rien à foutre, il pionce tout habillé en travers du lit, enroulé dans la couette n’importe comment !

R : Mais Big Syke est vraiment l’un des plus cools. Quand il était chez lui, il l’avait reçu comme un roi, de la bouffe de dingue tous les jours, couscous, etc… J’avais ramené de la bouffe portugaise, il a pété un câble ! Il prenait en photo chaque repas pour l’envoyer à ses potes !

AK : Cette histoire, ça me fait penser à Mn&Msta (de Foesum, ndlr). On lui avait ramené du taboulé mais on ne savait pas comment le dire en anglais, du coup on lui dit couscous. Maintenant chaque fois qu’il revient ici il demande du couscous ! (rires)

R : Ce qui est bien, c’est que ce sont des mecs intéressés par la culture. Ils sont ouverts, contents de découvrir autre chose, prendre des photos…

P : Je crois que vous avez aussi collaboré avec Spice 1 ? Comment ça s’est passé ?

R : On est retourné au Japon avec Spice 1. Le japonais veut ramener des stars mais il a peur de se faire niquer donc il passe par nous, surtout qu’il s’est déjà fait carotté par Spice 1. Moi je le connais donc je lui dis que ça va le faire.

AK : En fait avant ça on a fait un titre avec lui. On le voulait en feat sur mon solo. Donc le mec fait son premier couplet, il me l’envoie et avant de poser le deuxième, il se fait tirer dessus ! Rui m’appelle et me raconte ça… « J’y crois pas ! Putain, comme par hasard » !

R : Moi, limite content, je me dis qu’on a le dernier couplet de Spice 1 ! (rires) J’appelle son manager qui me dit : « Oublie, pendant plusieurs mois, c’est mort, oublie. » Le temps passe, j’appelle pour avoir des nouvelles. Apparemment il recommence à parler un peu mais il faut de la rééducation. Et puis on oublie l’histoire et hop, un jour je reçois le deuxième couplet !

AK : En fait l’histoire c’est qu’il dormait devant chez sa mère parce qu’il était pété. Vu qu’il avait honte d’être pété devant sa mère, il est resté dormir dans son 4×4. Avec les vitres teintées, le mec qui est venu pour lui voler la caisse cette nuit-là n’avait pas vu qu’il était dedans. Du coup il a paniqué et il lui a tiré dans la poitrine mais je crois que c’est ressorti. Du coup les deux couplets avant et après sa blessure, ils étaient pour nous ! On a galéré mais on a réussi à avoir le morceau.

 

Je frappe à la porte de Spice 1, je le vois derrière son ordi portable, avec un bandeau comme Rambo, il regardait des films de karaté et il faisait les gestes !

 

P : Et donc cette tournée au Japon avec lui ?

AK : Déjà il loupe son avion pour commencer, il arrive un jour en retard. Du coup il loupe le premier concert !

R : Le problème c’est que ce concert était produit indirectement par des mecs qui faisaient partie des Yakuzas. Bref, on va le chercher le lendemain à l’aéroport, il s’excuse et on fait les trois dernières dates.

AK : Mais le dernier jour, quand on devait partir, le mec qui organisait la tournée nous dit qu’on est obligé de retourné là où on devait faire la première date pour s’excuser. 9h30 de route aller, 9h30 de route retour !

R : Nous on n’a rien à voir mais comme c’est moi qui ai fait l’assurance de Spice 1 vis-à-vis du japonais, on est obligé d’y aller.

AK : Donc on est dans un tour bus où personne ne se parle pendant 9h30 !

 

P : Et Spice 1 ?

AK : Il est venu, il s’est excusé, a fait les photos avec tous les mecs, « Je reviendrais que pour vous gratuitement », etc, etc…

R : Mais pour te dire comment il est bizarre. Un soir entre deux concerts, on est à l’hôtel avant de remonter sur scène et je me dis qu’on peut essayer de faire un morceau. Je frappe à sa porte, je le vois derrière son ordi portable, avec un bandeau comme Rambo, il regardait des films de karaté et il faisait les gestes ! (éclat de rires général)

AK : Des films de samouraï ! Il connait les films par cœur, il nous refait les scènes !

R : Du coup on a rien enregistré. Un grand enfant, il avait 17 ans dans sa tête. Un gamin de 40 ans mais c’était bien comique.

P : Pour en revenir à Gangsta Zone Records, vous avez sorti la dernière compile en 2012. Tu as déjà l’idée du groupe Supertronix à ce moment, l’envie de t’entourer d’instruments live?

AK : En fait l’idée du groupe est venue pendant ce voyage au Japon, le deuxième. Je faisais mon show talk-box avec les instrus sur CD. Et je me faisais chier en fait, ça commençait à me trotter dans la tête. Et comme par hasard, j’étais à l’hôtel entre deux concerts et je reçois un message sur Facebook du batteur U-Tank qui me propose d’enregistrer des batteries sur mes prods. Je le recontacte longtemps après, on répète ensemble et puis on monte le groupe petit à petit.

 

P : Comment est venu le nom ?

AK :   Je voulais un truc qui sonne électronique. L’idée du groupe c’est d’aller plus vers le funk et l’électro-funk, type Breakbot, Chromeo, etc… Des mecs qui ont simplement actualisé la funk des années 70/80 finalement.

 

P : Votre première date ?

AK : C’était au Ninkasi avec Foesum, un truc qu’on avait organisé. Mais les mecs ne voulaient pas d’un live band au début, ils étaient paniqué par l’idée. Ça change leurs habitudes d’avoir leur prods ultra-carrées, leur show calé sur le CD. On avait répété les prods et eux arrivent un ou deux jours avant le concert. Au début ils n’étaient pas enthousiastes mais à la fin de la journée c’était cool et la date s’était super bien passée. D’ailleurs on en a refait une à Lyon depuis.

 

P : D’ailleurs, tu produis leur prochain album. Tu peux nous dire où ça en est ?

AK : On fait cette date du 10 octobre avec Big Syke, parce qu’avant je n’aurais pas le temps. Après il me reste quatre morceaux à mixer, je dois poser trois refrains de talk-box, faire poser une batterie et des guitares par-ci par-là et après on est bon.

 

P : Quel sont les plans pour la suite ?

AK : C’est le groupe, ils me mettent la pression pour avancer mais je n’ai pas trop le temps. Je compose un peu, j’enregistre des trucs sur mon dictaphone, j’ai plein d’idées. Le but est de faire un maxi, genre 5-6 titres, diffuser et pouvoir jouer d’autres choses en concert. Parce que là on fait des titres de mon solo, des reprises genre Daft Punk et puis un peu d’impros. Et puis essayer de tourner, faire des dates.

 

P : Pour finir, quels sont tes papes, les producteurs qui t’ont le plus marqué et influencé ?

AK : Déjà Roger Troutman. Puis la vieille soul, Ray Charles, Stevie Wonder, etc… Après, dans la g-funk, y’en a trois qui m’ont vraiment marqué. Fredwreck, Battlecat et DJ Quik. Au niveau des instruments, il est magique. D’ailleurs quand DJ Quik vient à Lyon il y a quelques années à l’Original, nous on était avec WC, on l’avait amené partout. Dans les backstages, toute l’équipe de JM (boss de L’Original, ndlr) me dit qu’en allant chercher Quik à l’aéroport, ils lui ont mis mes sons dans la bagnole. Ils lui ont demandé s’il connaissait DJ AK et Quik dit « Ouais ouais, je connais ». Je leur dit : « Mais arrêtez de vous foutre de ma gueule là, DJ Quik, c’est ça ouais ! » Et donc le soir on arrive à l’after et y’a un mec qui va le voir qui lui dit son blase, je m’appelle machin. De moi-même ça ne me serait jamais venu à l’idée d’aller lui dire « je suis DJ AK » mais du coup moi je fais pareil. Et là Quik me fait : « C’est toi DJ AK ? Hi ! » Il appelle la meuf de la radio KDAY, « C’est DJ AK ! », la meuf me fait la bise machin. Et du coup il me fait cette petite vidéo avec sa serviette sur la tête. « Next on the list, to blow this bitch ! »