Recondite & Molecule
Flip Glacial

Ces dernières semaines, deux disques squattent particulièrement mes oreilles. Deux disques d’artistes qui ne les avaient que rarement squattées auparavant. Deux disques qui étaient particulièrement de saison (et qui hélas le sont encore un peu). Deux disques que je me permet de rapprocher le temps de ce papier : « Daermmerlicht » de Recondite et « -22,7° » de Molecule.

Tu es en bad ? Ta meuf t’as largué et tu es seul chez toi cette nuit ? Tu es en redescente de je ne sais quel truc que tu n’aurais pas du prendre ? Clairement, ce n’est pas le moment d’écouter le dernier Recondite. Parce que si le titre se traduit apparemment par « Pénombre » ou « Crépuscule », je l’aurais plutôt nommé en ce qui me concerne « Nuit Noire de novembre dans une forêt flippante de ouf adjacente à un cimetière méga-glauque ». En plus concis peut-être mais tu vois l’idée.

Bon ok, j’en rajoute un chouia mais il faut avouer que le disque de l’allemand n’est pas très lumineux. Le peu que je connaissais de Recondite était des morceaux techno qui, même s’ils étaient parfois un peu dark, étaient clairement faits pour le club. Grosse surprise donc à l’écoute de ce disque où l’ambient tient une part importante et où le peu de rythmiques qui sont présentes lorgnent plus vers le « trip-hop » (ouais, gros guillemets) que la techno made in Berlin.

Ce disque a, à mon avis, un pouvoir d’évocation visuelle très fort. Des tonnes de scènes possibles viennent à l’esprit lorsqu’on écoute ces morceaux et par conséquent beaucoup d’émotions nous parviennent. J’y vois la bande originale d’un jeu vidéo sombre et angoissant où l’on explorerait un univers inconnu. Genre Tchernobyl pas hyper longtemps après. Je ne saurais que trop vous conseiller de vous plonger dans cet univers et de vous laisser envahir par ces brumes flottantes, ces eaux troubles, ces halos aléatoires perçant les branches… Un disque fort et déroutant.

On a vu beaucoup plus de relais dans nos contrées du dernier album de Molecule. Outre le disque en lui-même, l’histoire de sa confection lui a valu bonne presse. Après le précédent, « 60°43′ Nord », enregistré au cours d’un voyage à bord d’un chalutier dans l’Atlantique nord, Romain Delahaye a passé pour celui-ci cinq mois à Tiniteqilaaq, petit village du Groënland. Nourri de ce séjour extrême et initiatique, il propose ici un voyage contrasté entre club et grands espaces.

Là encore, la musique est clairement un vecteur d’images même si cette fois-ci le cadre nous est imposé. Ce qu’on pourrait voir comme une limite (écouter tout le disque avec nos images et nos stéréotypes du grand nord en tête) constitue pour moi une vraie force. Dès « Aria », titre d’ouverture et immense réussite, je m’imagine (peut-être bêtement mais qu’importe) rallier le village en chiens de traineau en mode course poursuite.

Sur certains morceaux, la connexion se fait aussi via l’incorporation d’enregistrements de terrain (paroles d’habitants, cris de chien, respirations, etc…). Ainsi ces évocations glaciales nous poursuivent tout au long du disque. Les histoires imaginaires bâties autour de morceaux comme « Violence » ou « Jour Blanc » auraient été complètement différentes sans ce background et ces illustrations sonores. Alors que les titres « 5951Hz » et « Artfacts » renvoient à des bugs des machines de Molecule provoqué par l’extrême froid, « Qivitoq » est lui le nom donné que les Inuits donnaient aux faibles chassés de la tribu et qui parfois revenaient, mi-homme, mi-fantôme, rôder autour du village pour se venger. Bref, l’immersion est totale.

Alors bien sûr, « -22,7°C » vous saisira probablement plus lorsque vous lutterez sur votre vélo, un vent glacial en pleine face, qu’allongé sur une jolie plage cet été. Pas de doute là-dessus. Mais peu importe finalement. Car s’il fait partie des disques que vous ressortez chaque hiver pendant vingt ans, Molecule aura fait plus que réussir son pari.