Rencontre avec :
Osru

Graffeur à l’époque des friches à Lyon, Osru, 36 ans, reçoit Paperboys dans son atelier du 7e arrondissement. Son art se situe entre abstrait et figuratif, un mélange d’amour pour les motifs et de lignes géométriques. Pendant plus de 10 ans, il a formé un duo avec l’artiste Violon, avec lequel il partageait un atelier. Après séparation, Osru s’est déplacé rue de Marseille où il développe la technique de la linogravure et la skatogravure (gravure sur skateboard). L’artiste dévoile un bout de sa vie de graffeur qu’il a dû mettre de côté au profit d’activités plus rentables.

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Qu’est-ce qui m’assure, là, tous les deux assis dans ton atelier, que tu as été graffeur ?
J’ai peint mes premiers murs dans le 1er, le 8e et à Villeurbanne en balançant des milliers de litres de peinture. Il m’est même arrivé de pisser dedans pour la diluer. J’ai un stock d’images d’œuvres d’autres artistes, car avant, on prenait des photos de toutes les productions. Personne ne donnait son prénom et il fallait se bouger pour savoir ce qui se passe, sortir pour trouver un mur.

Personne ne donnait son prénom et il fallait se bouger pour savoir ce qui se passe, sortir pour trouver un mur

Tu avais un atelier à la friche RVI, tu peux nous en parler?
C’était un bâtiment immense des années 1900, plus de 25 000 m2, dans le 3e arrondissement avec 350 artistes aux arts multiples. Quelques personnes ont découvert le lieu et s’y sont installés. Par la suite, une convention s’est établie avec ville pour la mise à disposition des locaux. Mais nous n’avons jamais eu de vraies autorisations pour l’ouverture au public, ce qui a freiné l’élan. Ça a fini par capoter.

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Dernièrement, tu as participé au festival Street Art on The Rock, en Bourgogne. Tu as peint un pan de carrière de 5 mètres par 15!
On m’a permis de faire un boulot personnel sur un mur gigantesque, tout à la nacelle. C’était une semaine géniale ! Tout le village et la région étaient à fond. Le soir du vernissage, il devait y avoir 1 200 personnes, pour un village de 149 habitants. Ma maquette, un coq rempli de formes géométriques et de motifs, a été tiré d’un de mes skates et adapté au format peinture. Je l’ai présenté en suivant un cahier des charges sur le vin et le patrimoine. J’ai vendu le projet comme une ‘revisitation’ de l’emblème national. Seize dossiers ont été présentés et 7 ont été selectionnés. Un mur comme de cette taille-là ne se fait pas instinctivement.

C’est difficile de faire comprendre au reste de la ville que l’on peut faire de belles productions même si ce n’est pas ultra kitsch ou qu’il n’y a pas un Milou dans une fenêtre

Quels sont les projets qui te donnent envie ici à Lyon ?
Il y a deux trois murs de pignons qui me font saliver. Notamment dans le 6e arrondissement. La difficulté, c’est les autorisations. Il faut monter un échafaudage, une nacelle, y en a pour une semaine de travail. Sans autorisation, on prend le risque de ne pas voir son mur achevé, une forte amende et quelques jours de prison. Pour ce genre de projets, il faudrait chercher les propriétaires et leur présenter une maquette poussée.

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D’après toi, on s’éclate à Lyon en graffiti ?
Cité Création détient le record mondial avec une peinture de 5 000 M2 sur un Carrefour à Shanghai. Leurs œuvres sont principalement basées sur le principe du trompe l’œil. Toutes les grandes fresques de Lyon, c’est eux. Il existe donc une contradiction quand les jeunes débarquent avec leurs esthétiques différentes, à l’œil et non au quadrillage. C’est difficile de faire comprendre au reste de la ville que l’on peut faire de belles productions même si ce n’est pas ultra kitsch ou qu’il n’y a pas un Milou dans une fenêtre. Il y a un sacré niveau à Lyon. Brusk ou Nelio tournent à l’international par exemple. Nelio a refait entièrement la station de métro de Mermoz-Pinel avec des formes géométriques, des enchaînements triangles, rectangles.

Quand j’ai commencé, le terme street art n’existait pas. Quand je vois certaines productions aujourd’hui, je me dis que c’est du brassage de nouilles.

Quelles références devrait-on connaître avant d’entamer une discussion graffiti avec toi ?
Lokiss. Lui, il m’a retourné le cerveau, c’est une légende vivante du graffiti. Des mecs comme Lek et Hof avec leur crew LCA, c’est un taf ultra graphique, minimaliste, ça m’a tapé dans l’œil. Frédéric Malek et Mathieu Kendrick (dits Lek et Sowat) ont été les premiers pensionnaires issus du graffiti installés à la Villa Médicis à Rome. Ils sont humbles et discrets, j’aime beaucoup. Et j’ai connu le graff avec le bouquin Kapital.

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Ta définition du graffiti ?
Le graffiti est chronophage, ça prend beaucoup de temps. C’est une peinture corporelle, le trait se fait avec ton corps, et l’on arrive vite sur des grades surfaces. Chaque graffeur a sa définition. C’est infini. Certains travaillent l’ultra-réalisme, d’autres l’abstrait géométrique. C’est une école de peinture, de prise d’espace dans un cadre normé ou sauvage. Quand j’ai commencé, le terme de street art n’existait pas. Quand je vois certaines productions aujourd’hui, je me dis que c’est du brassage de nouilles. Le street art  aujourd’hui, c’est ultra tendance, c’est limite une blague…

Tout ce que je fais maintenant vient du graff.  Je ne ferais pas ce que je fais maintenant sans cette période-là. C’est une évolution de mon travail.

Sans abandonner le graff, tu es passé à un travail d’atelier…
Mon passé de graffeur m’a emmené vers d’autres formes d’art : la peinture traditionnelle sur toile, l’aquarelle, la sérigraphie et la sculpture. Depuis 4 ans, je me suis lancé dans la gravure sur bois et la linogravure.
J’utilise un vieux procédé de reproduction d’images. À l’origine, le lino était utilisé pour recouvrir les sols, mais, vers 1900, il a été détourné vers la gravure. Je crée un tampon. Sur une plaque plane, je fais un dessin au crayon puis la sculpte. Tout ce que je touche avec mon outil à découper ne sera pas imprimé. Le bois et le lino, c’est les mêmes techniques et les mêmes ciseaux à bois. Le rendu est similaire, la seule différence se trouve sur la force du poignet. Le lino chaud, posé au soleil ou sur un radiateur, c’est du beurre à travailler. Le résultat final est plus fin, plus précis, avec des courbes qui s’enchaînent.

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Pourquoi as-tu mis de côté la peinture murale ?
Il y a ceux qui dessinent pour le fun et ceux qui essaient d’en faire une source de revenus. Moi, je n’ai pas trouvé de débouchés, peut être que je n’ai pas le niveau ou pas compris des trucs, je ne sais pas. Le graffiti, c’est beaucoup de temps pour un résultat économique égal ou inférieur à zéro. À l’atelier par exemple, j’ai beaucoup de travail pour les fêtes de noël. Tout ce que je fais maintenant vient du graff.  Je ne ferais pas ce que je fais maintenant sans cette période-là. C’est une évolution de mon travail. J’ai grandi. Avant je n’avais pas de boulot d’atelier, pas d’enfant , j’avais un boulot à plein temps et une femme très compréhensive. Depuis 6 ans, je suis postier et j’ai toujours la même femme (rires) mais je n’ai plus le temps de passer une semaine sur un mur pour la gloire. Mais j’aimerais bien me taper un délire sans penser a quoi ça sert.